par Régis Hoyet
Nos remerciements vont aux membres de la cité libre du vieux Thouars et notamment à messieurs Jacques BAUFRETON (président-Maire) et Paul Boucheteau (premier adjoint et grand écrivain) qui nous ont autorisés à reproduire les récits de la gazette du vieux Thouars, liés à l’histoire de l’entrepôt de réserve générale de munitions pendant la période cruciale de 1940 et de reconstituer ainsi un épisode peu connu, riche en émotions et rebondissements…
1. L’HISTOIRE DU DEPOT DE MUNITIONS DE THOUARS…
Situé sur une région au riche passé militaire, sur un plateau qui a vu l’invasion des Wisigoths, des Arabes, les combats des Plantagenets, les batailles de la guerre de Cent Ans, les guerres du Duc d’Anjou puis, plus près de nous les guerres de Vendée, le parc d’artillerie de Thouars est né des besoins de la guerre 1914 – 1918.
Il est loin le temps où par arrêté du 21 octobre 1916 le préfet des Deux–Sèvres autorise la création d’un parc à munitions à Thouars, à proximité d’un nœud ferroviaire. On suppose que la décision de créer un dépôt, non loin d’un port et à proximité d’un nœud ferroviaire important permettait d’entreposer les munitions venant d’Amérique avant leur réexpédition vers les zones de combat. Le site de Thouars se prêtait à cette implantation : accès aisé vers l’océan, gare importante (liaisons directe avec Paris et Tours en particulier).
A l’origine, les stockages sont à l’air libre. Seuls quelques bâtiments sont édifiés dans le lieu que les Thouarsais surnommeront vite « les baraquements ». Le réseau ferré dessert en grande partie les zones de stockages. Suite au décret d’expropriation du 14 août 1921, petit à petit, sont érigés des bureaux, des logements, des hangars pour les munitions les plus sensibles. En 1924, commence la construction de ce qui deviendra : l’Entrepôt de Réserve Générale de Munitions de THOUARS (ERGMu)
Parallèlement, le réseau ferré va s’amplifier et l’entrepôt sera relié au réseau national par trois embranchements :
– deux le raccordent à la ligne THOUARS – TOURS ;
– un le raccorde à la ligne THOUARS – SAUMUR.
L’atelier de remise en état voit le jour à cette époque. En 1940, l’ERGMu compte quatre groupes de stockage et un groupe des ateliers. La zone administrative est implantée dans le premier groupe. En 1940, l’ERGMu comprend 4 groupes de stockage et un groupe d’ateliers. Il est évacué le 20 juin 1940 alors que la bataille de Saumur est engagée. Les Allemands l’occupent du 24 juin 1940 au 16 août 1944, et le détruiront à 90%, ainsi que les archives, avant de se replier. Il n’y a plus d’alimentation en eau et pratiquement plus d’électricité. Le réseau ferré est détruit, le casernement et les logements militaires découverts. L’entrepôt n’en a cependant pas terminé avec les malheurs. En août 1945, une explosion fait deux morts au groupe II.
Le 13 juillet 1946, le feu prend dans un stock de munitions récupérées dans la poche de Royan. L’incendie dure trois jours du 13 au 15 juillet 1946, achevant de détruire le groupe II. Heureusement il n’y a pas de victime, à part un veilleur qui effectuait sa ronde et qui ne devra son salut qu’à la proximité d’un fût de 200 litres d’eau dans lequel il s’immerge pendant une journée, attendant une accalmie pour s’en extraire !
En 1947, une nouvelle explosion secoue le groupe III. Le feu a pris dans un tas de 200 tonnes de munitions qui attendent d’être enlevées pour destruction. Les projections sont nombreuses et, un peu partout, il faut lutter contre des débuts d’incendie.
En 1952, le personnel paiera à nouveau son tribut. Une caisse de détonateurs explose entraînant la mort de deux ouvriers. Malgré ces catastrophes, l’entrepôt se relève peu à peu de ses ruines grâce aux efforts conjugués du Service du Génie et du Service du Matériel. Le personnel de l’ERGMu oeuvre et les bâtiments se redressent, les voies de communications se rétablissent. L’établissement a alors le statut commun aux autres entrepôts de munitions et est indépendant sur les plans des personnels, des activités et des finances.
En 1956, il est à peu près reconstruit, parfois avec des solutions de fortune. Néanmoins, il peut recevoir 50 000 tonnes de munitions.
De 1960 à sa fermeture, les efforts ont porté sur l’adaptation à la manutention mécanisée.
De 1947 à 1971, l’ERGMu s’est vu rattacher le dépôt souterrain de Migné-les-Lourdines (situé à l’entrée de Poitiers), dont l’exploitation en tant que dépôt de munitions a cessé le 1er janvier 1971 : il a été évacué le 3 juin de la même année, son dernier chef de dépôt était le lieutenant GIORGINI…
En 1974, le dépôt de munitions de Dirac a été rattaché à l’ERGMu. de Thouars (voir in fine…). Il sera dissous en 1994, son dernier chef de dépôt était l’ADC SALES…
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Ayant, comme les autres ERGMu, diversifié ses activités, en 1978, l’Entrepôt de réserve générale de munitions de Thouars devient Etablissement de réserve générale de munitions (ERGMu), puis le 1er janvier 1994, suite à la réorganisation « ARMEE 2000 » il devient Etablissement du Matériel de l’armée de terre (ETAMAT).
En juillet 1996, la fermeture progressive de l’ETAMAT de Thouars est annoncée. Une antenne mobilité reclassement est créée afin de faciliter la réaffectation des personnels civils de l’établissement.
En septembre 1997, le programme d’évacuation de toutes les munitions avant le 1er mai 2000 est arrêté par la Direction Centrale du Matériel de l’Armée de Terre (DCMAT).
Après le départ de nombreux personnels administratifs, le rattachement de l’ETAMAT de Thouars à celui de Poitiers devient inéluctable : fin 1997, une décision ministérielle fixe la date de la transformation en détachement de l’ETAMAT de Poitiers, groupement technique n° 2 (DETMAT/GT 2) au 1er juillet 1998.
L’évacuation du groupe de stockage n° 3 est programmé pour le 1er juin 1998, celle du groupe de stockage n° 2 pour 1999 afin de diminuer le nombre de zones militaires sensibles.
Enfin, en 2000 l’arrêt des activités n’a lieu qu’après le départ des dernières munitions : jusqu’à cette date, les derniers militaires et civils en place ont poursuivi la mission de leurs aînés, avec la même rigueur et le même dévouement, refermant une chaîne de quelque 84 ans…
2. L’ODYSSEE DU TRAIN 377
A la veille du désastre national, l’entrepôt de réserve générale de Thouars dépend du parc régional de réparations et d’entretien de Poitiers. Il est commandé par le chef d’escadron BOCHOT. Mis à part le type de construction, l’infrastructure de l’établissement est comparable à celle des années 1990 : magasins, poudrières, ateliers, casernements, logements, bâtiments de servitude, château d’eau, embranchement particulier, etc…
C’est une organisation importante pour l’époque et le Directeur dispose d’un encadrement en conséquence : 4 officiers, 10 sous-officiers, 1 maître ouvrier chef d’atelier.
A ce personnel d’active est venu s’ajouter à la mobilisation le personnel de réserve, soit un renfort de 2 capitaines, 8 lieutenants, 3 médecins dont un dentiste.
Il faut encore ajouter le personnel du groupe des compagnies, c’est à dire : un capitaine commandant du groupe et 9 officiers dont 6 commandants d’unité.
Le groupe des compagnies en support de l’E.R.G. comprend : la 2ème compagnie d’artificiers à 185 hommes, la 5ème compagnie d’artillerie à 240 hommes, la 7ème compagnie d’artillerie à 240 hommes, la 8ème compagnie d’artillerie à 240 hommes, la 2ème compagnie de travailleurs espagnols à 500 hommes, la 3ème compagnie d’Annamites à 300 hommes, une section de défense anti-aérienne à 30 hommes soit 1735 sous-officiers et troupe.
Jusqu’au 10 mai, comme partout ailleurs en France, l’E.R.G. vit la « drôle de guerre » dans l’attente d’une solution favorable du conflit. L’attaque allemande de la Hollande et de la Belgique vient là aussi dissiper des illusions. Il faut faire face, et l’E.R.G. va se montrer à la hauteur de ses responsabilités.
Dans le compte rendu qu’il fait des évènements qui conduiront à l’évacuation des familles et des cadres de l’E.R.G., le chef d’escadron BOCHOT raconte aussi l’aventure du train 377 ainsi que les circonstances de l’évacuation de l’établissement.
Au cours des 28 semaines de guerre il a été manipulé dans l’établissement environ 300 000 tonnes de munitions. Il en est sorti 93 495 tonnes dans 166 trains. Le train 377 fait partie de ces convois lancés sur les rails au début de l’attaque allemande en mai. Au moment où commence son aventure, la situation des armées Françaises se dégrade rapidement tandis que la Werhmacht, appuyée par la Luftwaffe, fait la démonstration de sa supériorité.
Le 14 mai, la capitulation hollandaise n’est plus qu’une question d’heures. Près de 2000 blindés disloquent sur la Meuse le dispositif français conçu sur la base d’une idée fausse, à savoir l’impossibilité pour les chars adverses de franchir les Ardennes… Au soir du 15 mai, les panzers de Guderian sont à Moncornet, au bord de la Serre. A 35 km de Laon, à 37 km de Rethel. Reims n’est plus qu’à 70 km, après 4 jours de combat !…
Le train, parti de Thouars le 14 mai, contient : 52 800 coups de 75 modèle 1917 DCA, 9 600 coups de 75 modèle 1928 DCA, 4 800 coups de 105 long modèle 1936. Au chef de train, mécanicien et chauffeur, se sont joints 4 convoyeurs, canonniers à la 2ème compagnie d’artificiers du 9ème bataillon d’ouvrier d’artillerie. Ce sont : BEAUCHAMP Moïse matricule 2066, CLISSON Marcel matricule 1995, GARNIER René matricule 745, PINTURAUD Pierre matricule 309. Sur ces quatre hommes va reposer entièrement le destin du train 377.
Ce train arrive au Bourget le 15 mai à 9h 15 mm. De cette gare, il est dirigé sur Laon…où il entre en gare à 20 heures sous le mitraillage et le bombardement des stukas en piqué. Par chance, ni le personnel du train, ni les convoyeurs, ni le train ne seront touchés. Les convoyeurs partent aussitôt à la recherche du commissaire de gare. Introuvable ce commissaire…disparu ! Il leur faut cependant connaître leur destination finale ; aussi deux d’entre eux vont se rendre en ville au bureau militaire. Surprise ! Ce bureau fonctionne et leur indique même leur point de livraison : Marly-Gomont, petite localité située à 20 km environ à l’est de la petite ville de Guise. Lors de leur retour au train, on s’aperçoit que le chef de train a lui aussi disparu, emportant avec lui tous les papiers. De la situation militaire, le mécanicien du train, son chauffeur, les quatre convoyeurs ne savent rien ; sauf que cela va plutôt mal ; la ville est encombrée de réfugiés, de blessés, de fuyards et les bruits alarmants circulent.
Sans le savoir, les six hommes viennent de pénétrer dans la zone d’action de la IVème division cuirassée (DCR) dont les éléments commencent à se mettre en place dans le Laonnais afin de permettre à la VIème armée du général TOUCHON de se reformer sur l’Aisne. Le chef de la IVèmeDCR est le colonel de GAULLE (il sera général le 23 mai). Dans ses « mémoires de guerre » on lit : « le 16, rejoint par embryon de mon état-major, je fais des reconnaissances et recueille des informations. L’impression que j’en tire est que de grosses forces allemandes qui ont débouché des Ardennes par Recroi et par Mézière, marchent, non pas vers le sud, mais vers l’ouest pour gagner Saint-Quentin en se couvrant à gauche sur les flancs gardes postées au sud de la Serre ».
Mais revenons à notre train 377 stationné en gare de Laon :
Au vu de l’ordre de mission pour Marly-Gomont, le chef de gare de Laon fait partir le train en direction de Marle-sur-Serre, bourgade à 22 km de Laon, au carrefour des directions de Guise au nord-ouest et Vervins-Hirson au nord-est. Comme des blindés allemands ont déjà atteint la Serre, notamment à Montcornet (Marle-Montcornet = 22 km), le train 377 roule aveuglément vers l’ennemi. Il passe une partie de la nuit du 15 au 16 mai à Marle-sur-Serre. Au début il y a encore quelques employés.
« Le commissaire de gare qui portait ses bagages à la main a déclaré aux convoyeurs que, selon les ordres donnés, ils devaient accompagner leur train jusqu’à Marly-Gomont. Les convoyeurs qui sont restés une partie de la nuit dans cette gare, n’ont plus revu le commissaire de gare. Vers minuit, la gare de Marle-sur-Serre a été abandonnée par le personnel. Il ne restait en gare que le mécanicien, le chauffeur et les quatre convoyeurs. A une heure du matin, le 16, une “Micheline” conduite par deux mécaniciens dont la machine était déraillée dans un trou de bombe, est entrée en gare. Les mécaniciens ont déclaré qu’il était impossible d’aller plus loin, l’ennemi devant être en ce moment à Marly-Gomont ».
La responsabilité du convoi de munitions repose bien sur les quatre convoyeurs car c’est maintenant qu’il faut prendre une décision :
– Poursuivre, obéir aux ordres ?… Il serait stupide de conduire ce train sans défense vers l’ennemi !…
– Abandonner le dangereux transport ?… Filer comme l’ont fait le chef de train et sans doute les deux commissaires de gare ?…
– Ramener le train vers l’arrière ?… Malgré les risques encourus, avec le précieux chargement…
Qui va prendre la décision ?
Constatant que le flot des réfugiés et des troupes en débandade ne cesse de s’écouler au voisinage de la gare, le convoyeur PINTURAUD, matricule 309, (donc le plus ancien dans le grade le plus élevé), en accord avec le mécanicien, décide de ramener le convoi en arrière.
En guise de confirmation de cette situation reprenons dans le même paragraphe les « Mémoires de guerre » : « sur toutes les routes venant du nord, affluent de lamentables convois de réfugiés. J’y vois aussi nombre de militaires désarmés ».
Reprenons le récit du chef d’escadron BOCHOT :
« A partir de Marle, le train 377 a ouvert la marche à un train de blessés se dirigeant vers Laon et Soissons. Pour ce trajet retour, le convoi jusqu’à Laon a trouvé les aiguilles cadenassées. Le personnel du train a donc été dans l’obligation de faire sauter tous les cadenas d’aiguilles à coups de marteau.
Le convoi est ainsi arrivé près de la gare de Laon vers 5 heurs, mais, la voie étant fermée, il a été impossible de rentrer en gare. Le mécanicien s’est alors rendu seul à la gare pour y prendre des ordres. Il n’a trouvé personne. Il est revenu prendre son convoi pour l’acheminer en gare de Laon après avoir fait sauter à coups de marteau le cadenas qui bloquait les aiguilles. En gare de Laon, le mécanicien, après entente avec les convoyeurs, a manœuvré pour prendre en remorque une rame de dix wagons chargés de fûts d’essence. Le 17 mai, vers 7 heures, le train a quitté Laon en direction de Soissons en remorquant un convoi d’environ 1300 tonnes. Le voyages s’est effectué à allure très lente et le convoi est arrivé sans incident à Soissons dans la matinée.
Le commissaire de la gare de Soissons a alors dirigé le train sur Compiègne. De là il est dirigé sur Creil, puis Enghien où il est arrivé à minuit, et a été garé par le chef de gare. Les wagons d’essence remorqués depuis Laon ont été laissés en gare de Pluches.
Le 22 mai, personne ne s’occupant du convoi, les convoyeurs ont pris l’initiative d’adresser une lettre au commandant de l’ERG de Thouars pour demander des instructions.
A l’occasion d’une mission de liaison au Ministère de la guerre, un sous-officier de l’établissement a été dirigé sur Enghien le 24 mai pour prendre des renseignements sur le train 377, s’enquérir des convoyeurs et leur porter des subsides.
Le 26 mai, rentré de mission, le Maréchal des logis a rendu compte que les convoyeurs étaient dans l’obligation de garder nuit et jour leur convoi fractionné en quatre tronçons et que la mairie de Soisy-sur-Montmorency assurait la subsistance des convoyeurs par bons de réquisition.
Le 26 mai, à 9 heures, un compte rendu télégraphique a été adressé à Monsieur le Ministre de la guerre, Direction de l’Artillerie, 2ème bureau Matériel, 3ème Section. L’officier de ce service qui a reçu ce message a fait connaître que des instructions allaient être données pour l’acheminement de ce train, sur une destination définitive.
Thouars, le 27 mai 1940
Signé : BOCHOT »
Personne ne saura quelle fut la « destination définitive » de ce train 377 ni ce que sont devenus les quatre convoyeurs. Mais le 28 octobre, le chef d’escadron BOCHOT recevait la notification 323 C :
Le général HUNTZINGER, commandant en chef des forces terrestres, Ministre, Secrétaire d’Etat à la guerre, cite « à l’ordre du Régiment » PINTURAUD Pierre, matricule 309, BEAUCHAMP Moïse, matricule 2066, GARNIER René, matricule 745, CLISSON Marcel, matricule 1995, canonniers à la 2ème compagnie d’artificiers du 9ème BOA, E.R.G. de Thouars. « Convoyeurs d’un train de munitions acheminé le 15 mai 1940 vers une zone occupée par l’ennemi, ont grandement contribué par leur décision, leur initiative, leur sang-froid et leur courage sous les bombardements d’avions, à sauver leur convoi et aidant le mécanicien à rebrousser chemin malgré le départ de tout le personnel des gares. Ont permis de ramener dans nos lignes, non seulement le train de munitions mais un train d’essence abandonné dans une gare évacuée et un train de blessés auquel la voie a été ouverte ».
3. L’E.R.G. DANS LA DEBACLE…
Situation générale du 15 au 18 juin 1940 :
Nous savons exactement ce qui se passait chaque jour, chaque heure de ces tristes journées de Mai 1940. Mais au moment ou le chef d’escadron BOCHOT signe le 20 juillet 1940 le récit des évènements qui ont conduit le personnel de son établissement en zone dite libre, il ignore encore la plupart des circonstances qui ont entouré ces évènements. Et lorsque l’ennemi approche de Thouars, il ne connaît de la situation que ce qu’il voit ou entend.
Aucun recours n’est possible vers les échelons supérieurs de la hiérarchie militaire ou civile pour obtenir quelque renseignement d’importance que ce soit.
Henri AMOUROUX dans « la grande histoire des Français sous l’occupation » écrit à ce sujet : « les communications téléphoniques sont détruites, la radio fonctionne mal, les Généraux Français ignorent ce qui se passe à 30 km de leur PC ». A notre époque de multimédia, on imagine mal cette situation !
Le 15 Juin, la Wehrmacht progresse vers l’embouchure de la Loire et vers Lyon. Devant les Allemands, il n’existe que des débris d’unités qui opposent des résistances ponctuelles et retardent parfois de quelques heures le passage d’un pont, la prise d’une ville.
Le gouvernement de la République s’est replié à Bordeaux. Citons encore M. AMOUROUX : « Armées, divisions, régiments ne sont plus que des paquets humains, enveloppés, tronçonnés, dissous par les masses allemandes qui poussent devant elles des foules terrorisées, et un gouvernement hésitant, partagé, ne sachant plus à quel espoir se raccrocher parmi tous les efforts à long terme que lui offre encore Paul REYNAUD ».
La situation vue de l’E.R.G.
Voici ce que le chef d’escadron BOCHOT écrit :
Les nouvelles du front étaient vagues. La T.S.F. ne donnait aucune précision. Vers le 13 Juin, une régulatrice d’armée s’était repliée sur Thouars. Depuis le 15 Juin, le trafic de l’E.R.G était considérablement ralenti. Huit trains de munitions étaient depuis plusieurs jours en attente sur le faisceau ; toutefois les arrivages continuaient à affluer : wagons d’obus pour l’E.R.G., wagons de poudres pour les carrières de Brain-sur-Allonnes, bombes d’aviation pour le dépôt de la motte.
Cette situation paraissait devenir anormale. Les évacués continuaient à affluer sur les routes, provenant de zones de plus en plus rapprochées. L’E.R.G. se transformait en un véritable centre de ravitaillement en essence. Plus de 30 000 litres étaient ainsi distribués tant à des formations qu’à des civils. Les « isolés » devenaient de plus en plus nombreux. Des trains complets d’éléments de troupes diverses refoulées vers l’arrière avaient été ravitaillés en vivres à la gare de Thouars par les soins des unités de l’E.R.G.
Les ordres du Commandant territorial prescrivaient l’organisation de la défense des villages et des points de passage par les gardes territoriaux et les troupes de l’arrière. De fréquentes liaisons aux carrières de Brain-sur-Allones permettaient de constater que l’organisation de la Loire était à peu près nulle et faisait peu de progrès. Déjà, il était permis de douter d’une défense efficace sur ce fleuve. Les incursions aériennes des Allemands se faisaient chaque jour plus nombreuses. Des attaques aériennes ont eu lieu du 10 au 15 Juin sur Tours, Angers, Saumur, Montreuil-Bellay. Il n’était pas douteux que Thouars et ses environs soient pris pour cibles.
LES INCERTITUDES DU COMMANDANT DE L’E.R.G.
Cette situation est d’autant plus angoissante que jamais la moindre directive n’a été donnée au Commandement de l’ERG sur la conduite à tenir en cas d’approche de l’ennemi :
Faut-il évacuer le matériel ?… Lequel ?…
Faut-il saborder l’entrepôt ? A quel moment ?
Faut-il conserver le personnel sur place jusqu’à l’arrivée de l’ennemi ?
Faut-il évacuer les familles dont dix habitent à l’intérieur de l’ERG ?
Autant de questions qui n’ont jamais été soulevées et que l’on n’ose poser, espérant toujours que la situation se rétablira avant la Loire. Il n’y a rien dans les archives à ce sujet.
Les liaisons téléphoniques deviennent chaque jour plus difficile. Tous les organes de commandement sont en perpétuel déplacement et il n’est pas possible de provoquer des ordres par téléphone sur de telles questions…
Le 15 juin, deux officiers de l’Inspection des Munitions, le capitaine RATEAU et le lieutenant BEAUGARS étaient passés à l’entrepôt. Ils n’avaient pas d’instructions pour l’ERG. L’inspection des munitions s’est repliée à Pau. Le 16 juin, arrivent des officiers de l’ERG de Mézidon. Ils ont reçu des ordres de repli émanant du commandant de l’Artillerie de la Région. Ils n’ont laissé sur place qu’un faible détachement pour assurer le ravitaillement tant qu’il y aura des possibilités.
Il devient nécessaire d’aviser.
Les deux hypothèses.
Dans cette situation et surtout dans l’ignorance des instructions que le commandement aurait dû lui faire parvenir, que pouvait faire le chef d’escadron BOCHOT ?
Il nous fait part des hypothèses qu’il a été amené à considérer :
Première hypothèse :
C’est la seule qui puisse venir à l’esprit quand on se refuse à croire au désastre. Une armée doit combattre en retraite dans la région Nord de Thouars. Ses éléments arrière et ses E.M. feront sans doute prochainement leur apparition. Il sera possible alors d’avoir des renseignements sur la situation : repli envisagé, lignes successives qui seront défendues, délai probable de l’arrivée de l’ennemi… Logiquement, l’ERG passera sous les ordres de cette armée ; il sera absorbé par son parc à munitions dont il deviendra un organe essentiellement défendable. A ce moment il sera encore temps d’aviser sur le repli du personnel, l’évacuation ou la destruction du matériel, opérations qui se feront sous la protection de l’armée engagée…
Il n’y a donc pas d’initiative à prendre immédiatement. Il suffit de chercher par tous les moyens à obtenir la liaison avec l’armée en contact.
Du reste, deux éléments viennent étayer cette hypothèse : La présence à Thouars d’une régulatrice d’armée qui normalement est un organe situé assez en arrière, et un message téléphoné le 16 juin de la subdivision de Niort :
<<<<<< N° 95 : Ordre à tous les organes militaires concourant au ravitaillement et à la police, rester à leur poste même au risque d’être fait prisonnier. En aucun cas ces organes ne doivent se replier sans ordre du Général commandant l’armée. S’il le faut faire des exemples. >>>>>>
On ne peut donc pas douter de l’existence d’une armée qui combat.
Seconde hypothèse :
C’est celle qui naît de l’ambiance du désastre. Il n’y a plus en face de l’E.R.G. que des éléments épars, en partie en déroute et qui ne s’arrêteront peut-être même pas pour tenter de défendre la Loire. L’E.R.G. est alors seul, livré à lui-même. Il ne recevra pas d’ordres. Sa mission de ravitaillement par voie ferrée peut être considérée comme définitivement paralysée. Son ultime mission se bornera à satisfaire aux demandes de quelques éléments qui peuvent encore tenter de résister ça et là. Mais, en cas d’avance brusquée de l’ennemi, du genre de celles réalisées sur la Meuse, sur la Marne et sur la Seine, il n’y a aucune illusion à se faire : tout le personnel sera prisonnier. Il y aura impossibilité absolue d’évacuer quoi que ce soit ou de détruire même les amorçages.
Des faits troublants font pencher à chaque minute pour cette deuxième hypothèse : les « isolés » sont de plus en plus denses sur les routes et leur allure désordonnée ressemble bien à la déroute. Des débris d’unités combattantes, de l’artillerie en particulier, refluent sans arrêt. Elles n’ont aucun renseignement sur les troupes qui combattent encore.
Dès le 17 juin, la régulatrice prépare son départ. Elle ne peut fournir aucun renseignement sur la présence d’une armée au Nord de Thouars. Le commandant de la région quitte Tours. Des ordres ont été donnés pour que tous les éléments régionaux évacuent le Nord de la Loire. Des éléments de l’E.R.G. de Mézidon arrivent à Thouars. Il y a quelques jours, leur situation a été sensiblement la même que celle de Thouars aujourd’hui. Toutefois ils se sont trouvés en contact avec des unités combattantes et ils ont reçu des ordres de repli du Général commandant l’artillerie de la région.
Les décisions du commandant de l’E.R.G.
Après une telle analyse, le chef d’escadron BOCHOT va prendre un ensemble de décisions qui auront le mérite de sauver ce qui pouvait l’être tout en assurant sa mission de ravitaillement jusqu’au dernier moment.
Le 15 juin, un plan de repliement des familles est établi confidentiellement et communiqué aux chefs de familles par la note reproduite ci-dessous :
Plan de repliement des familles
1 – Données générales
Dans le cas où un repliement des familles habitant l’E.R.G. s’imposerait, les mesures suivantes sont prévues : Un convoi encadré comprenant les voitures personnelles et quelques camions et camionnettes sera chargé du transport des familles et de leurs bagages usuels en direction du sud (Bordeaux, les Pyrénées, la côte ouest). L’organisation du convoi sera faite par le lieutenant BERVAS, en fonction du nombre de familles à évacuer. Les voitures désignées parmi les meilleures de l’E.R.G. seront mises immédiatement en état (plein d’huile, d’eau, d’essence, bidons de secours, câbles de remorquage…). Les chauffeurs seront choisis avec soin et devront être toujours immédiatement prêts à partir, avec une couverture et un repas froid. Une bâche avec cordage et piquets, destinée à servir de tente, sera chargée sur chaque camion (à préparer par le Brigadier-chef PILLET). La citerne auto sera remplie d’essence et suivra le convoi et un dépanneur avec outillage sera désigné par le maréchal des logis chef BORCHIE. Le chef de convoi sera désigné ultérieurement. La répartition des voitures sera faite d’avance par le lieutenant BERVAS et le chargement de chacune s’effectuera suivant un itinéraire à préparer et qui sera remis à chacun des chauffeurs. Les familles devront se tenir en permanence prêtes à partir. Elles sont invitées à ne pas transporter de matériel inutile ou trop encombrant. Elles feront bien de se munir de provisions et de petit matériel de cuisine, réchaud à alcool ou essence.
2 – Réserve de vivres
Une réserve de pain, de conserves et de vin sera faite par les soins du lieutenant BERVAS, le prix en sera réparti entre les familles.
3 – Itinéraire
Il sera remis au chef de convoi, (en principe Parthenay, Niort, Saint-Jean d’Angély, Saintes, Rous, Mirambeau, Saint-André-de-Cubzac, Mont-de-Marsan, Orthez). Des ordres de missions réguliers seront établis par le lieutenant BERVAS de l’E.R.G de Thouars. Les membres des familles sont priés de se munir de cartes d’identité.
Signé le chef d’escadron BOCHOT, commandant l’E.R.G. de Thouars.
Ce plan pourra jouer instantanément.
Ce même jour, des dispositions sont prises pour évacuer les carrières de Brain-sur-Allonnes. La moitié des poudres est ramenée sur Ternay.
Le 16 juin, la décision est prise de ne plus décharger les wagons de munitions à l’E.R.G..
Le 17 juin, les liaisons téléphoniques deviennent impossibles, les renseignements sur la situation sont de plus en plus vagues. La régulatrice se prépare à quitter Thouars.
Le 18, il faut à tout prix éclaircir une situation qui devient critique…
Le 18 juin :
C’est une terrible journée… Elle débute par des bombardements, ce sont Loudun, Pas de Jeu, Thouars que les avions ennemis prennent comme objectifs. Ces attaques font de nombreuses victimes à Loudun et à la gare de Thouars où 50 officiers polonais qui allaient s’embarquer sont tués ou blessés. On commence à sentir nettement une désorganisation du système de guet, les alertes ne sont plus données régulièrement. Ainsi le 18 juin, aucune alerte n’a été donnée alors que les avions ennemis ont survolé Thouars, une bonne partie de la journée, semblant attendre en gare le rassemblement des éléments polonais. L’heure du rassemblement a cependant été changée à plusieurs reprises. Tout permet de supposer qu’il existait une liaison terre-avion probablement par poste clandestin.
Situation générale le 18 juin :
Pour la plupart des combattants de 1940, le 18 juin ne peut être le jour de De Gaulle. Comment auraient-ils pu entendre cet appel d’un Général dont la plupart ignorent le nom et parfois même l’existence ?
Ceux qui combattent encore après avoir réussi à échapper à l’encerclement des blindés sur l’Aisne, sur la Somme, ou encore en Normandie, ceux qui abordent la Loire et vont tenter les ultimes coups d’arrêt momentanés du désespoir, ceux qui sont enfermés sous le béton des fortifications depuis longtemps dépassées par l’ennemi : tous ces hommes harassés, talonnés, bombardés, écœurés ont en commun le même souci : échapper à l’Allemand dont les moyens mécaniques les rattrapent et parfois les dépassent.
Mais au contact des populations qui fuient et encombrent les routes, ils apprennent que, la veille, le 17 juin, le maréchal PETAIN s’est adressé au pays et, au moment où débutaient seulement les pourparlers d’Armistice, il a prononcé des mots terribles : « il faut cesser le combat ».
« c’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il était prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte, et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités » (mots définitifs qui effacent le contenu antérieur du discours !)
Dans cette France envahie à moitié, désorganisée, au moral vacillant, ces paroles maladroites vont créer une horrible confusion et apporter une aide inespérée à la propagande allemande. L’ennemi peut ainsi accroître sans combat le nombre de ses prisonniers.
Le chef de la 7ème panzer division, le général ROMMEL, apprend d’un capitaine Français que PETAIN a prescrit aux unités françaises de déposer les armes. ROMMEL réplique qu’il n’est pas au courant mais qu’il n’ouvrira pas le feu. Les Français n’ont qu’à se ranger à droite et à gauche de la route, abandonner leurs armes individuelles et leurs canons antichars pour le laisser passer et s’en aller où bon leur semble. Le renseignement en tout cas, va être immédiatement exploité. A l’adresse des autres troupes françaises qu’il rencontrera dans l’après-midi du 18, ROMMEL fait agiter des mouchoirs blancs et crier : « guerre finie, krieg fertig, guerre finie ».
Le discours de PETAIN a été entendu partout où la radio peut fonctionner. N’oublions pas que le transistor n’existe pas encore. Qui plus est ce discours est déformé, interprété par chacun à sa convenance si bien que ordres et contre-ordres se succèdent tandis que l’ennemi poursuit son avance inexorablement.
Le chef d’escadron BOCHOT a t-il entendu le fameux discours ? Ce n’est pas sûr car il n’a pas eu le temps de se placer devant le poste de radio mais il en a certainement entendu parler au cours des liaisons téléphoniques qu’il entretient avec ceux qui devraient lui avoir donné des ordres.
Le 18 juin, le commandant de l’E.R.G. envoie des liaisons à l’extérieur :
Il envoie des officiers vers l’arrière et vers l’avant. Vers l’arrière pour provoquer les instructions qu’il aurait dû normalement recevoir du commandement !
Le capitaine FERRET a pour mission de rejoindre la direction de l’Artillerie qui, d’après des renseignements venus de Poitiers serait installée à Angoulême. Il demandera des directives sur la conduite à tenir en particulier au point de vue destruction des munitions.
Le lieutenant BELLIN est envoyé à Poitiers auprès du général commandant l’Artillerie pour lui soumettre les propositions arrêtées en cas d’avance de l’ennemi et lui demander d’autres instructions s’il y a lieu. Le lieutenant BELLIN est porteur d’une lettre du chef d’escadron BOCHOT, lettre qui peu être ainsi résumée : demande de destination pour les huit trains sur Niort, approbation sur la préparation d’évacuation. La note du général se termine par : << Soyez en relations suivies avec l’autorité militaire (colonel MICHOU de Saumur) qui vous renseignera éventuellement sur la situation devant vous. Ravitaillez tous ceux qui se présentent.>>
Le capitaine FERRET rentre vers 21h30. Il n’a reçu que des instructions verbales assez vagues. Il a même été question de tout détruire, ce qui est matériellement impossible.
Dès le retour du lieutenant BELLIN, le lieutenant RIMBAULT est envoyé en liaison vers l’avant, en direction de Saumur, avec mission de :
– Prendre contact avec les éléments de PC qu’il pourrait rencontrer et en particulier avec le colonel MICHOU commandant la défense de Saumur ;
– Faire connaître aux éléments rencontrés que l’E.R.G. peut délivrer des munitions de toute nature ;
– Pousser au-delà de la Loire pour prendre liaison si possible avec les troupes de contact.
Cet officier rentre vers 20 heures. Il a pris contact avec le colonel commandant l’école de cavalerie de Saumur qui lui a donné les renseignements suivants :
<< Inutile de dépasser les ponts de la Loire, il n’y plus d’armée de l’autre côté. Pour ma part, je vais me battre sur la Loire mais je n’ai plus d’artillerie. Les seuls canons dont je disposais manquent d’appareils de pointage et de servants qualifiés Vous pourriez voir à ma gauche un PC installé à Montrevaut et à ma droite je ne sais où en direction de Tours. Vous pourriez tenter, en passant par Doué-la-Fontaine et Montreuil de rejoindre le 106ème RA qui va vers le sud.>>
Le lieutenant RIMBAULT est alors chargé de transmettre au colonel MICHOU qu’un groupe de 75 est en stationnement à Brion (5 km au Nord de Thouars) et qu’avec ses pièces il serait possible de constituer quelques éléments d’artillerie en prélevant les pelotons de pièces et l’encadrement sur le personnel de l’E.R.G.
Ces propositions sont reçues par le chef d’état-major du colonel MICHOU. Elles sont renouvelées verbalement par le lieutenant FERMAUD envoyé à nouveau à 22 heures à Saumur. Vers 24 heures, à son retour, le lieutenant FERMAUD n’apporte aucune réponse à ces propositions. Par contre il rend compte que les ponts de Saumur viennent de sauter.
Vers 22 heures, la régulatrice a quitté Thouars.
4. LE REPLI…
19 juin, le commandant de l’E.R.G. ordonne le repli :
En possession de ces renseignements, le commandant de l’E.R.G. décide de mettre à exécution les préparatifs de repliement. Le 19 juin, vers une heure, il convoque les capitaines FERRET et MONTAUBIN pour arrêter les dernières dispositions. A deux heures l’ordre est transmis à tous les éléments par le capitaine FERRET :
1 – Exécuter immédiatement le plan de repli des familles préparé depuis le 17 ;
2 – Joindre à la colonne des familles toutes les voitures auto, transportant les archives et le personnel de l’EM ;
3 – Faire embarquer dès que possible les trois compagnies de Thouars dans la rame de wagons réservés disponibles sur le faisceau ;
4 – Faire évacuer la compagnie des Trois-Moutiers à l’aide des moyens dont elle dispose (colonne à pied et colonne de camions) par Pas-de-Jeu, Airvault, Parthenay, Aigre ;
5 – Constituer un détachement devant rester à l’entrepôt jusqu’à la dernière limite pour en assurer la garde de l’exploitation ;
Toutes ces directives verbales ont été confirmées par ordre écrit et les consignes ci-dessous rédigées vers six heures :
Ordre de repli pour l’ERG
1- Personnel à replier : la 5ème compagnie par voie de terre, la 7ème compagnie, 8ème compagnie, 2ème compagnie, Annamites par voies ferrées. Des ordres de détail sur l’itinéraire et les points de destination seront donnés ultérieurement.
2- Personnel restant sur place : 150 hommes de la 2ème compagnie ; 2 officiers, les lieutenants CHANCRIN et RAIMBAULT ; 1 adjudant, l’adjudant BONDU, 5 sous-officiers, 5 brigadiers et 2 spécialistes artificiers. Ce détachement est chargé de la garde de l’établissement et du ravitaillement des unités qui demanderaient à se ravitailler. Il se repliera dès que le personnel des armées aura pris possession de l’entrepôt. Des véhicules autos seront laissés à sa disposition. Point de première destination : Angoulême. Signé BOCHOT
Ordre de mission
Le lieutenant RAIMBAULT fait partie du détachement qui doit exploiter l’ERG jusqu’à l’arrivée de l’ennemi ou à la prise de possession par les Forces françaises. Il se repliera, soit sur ordre du commandant de ces forces avec lequel il doit rester en liaison, soit lorsqu’il estimera que la position n’est plus tenable ou que sa présence comme ravitailleur n’est plus nécessaire. Il fera saborder les munitions qui ont été désignées (fusées). Point de première destination : Montignac en Charente. Le 18 juin 1940, le commandant de l’ERG, Signé : BOCHOT.
L’exécution des ordres, le 19 juin – Repli des familles
De grosses difficultés vont surgir du fait que la plupart des familles ont passé la nuit du 18 au 19 juin dans les villages environnants et que d’autres sont indécises. Le chargement et la formation du convoi sont lents. Il ne peut être mis en route que vers 5 heures par Thouars, Parthenay, Saint-Maixent en direction d’Aigre. L’encombrement des routes est considérable. Les dernières voitures du convoi sont détournées sur Bressuire par les gendarmes et ne peuvent se joindre aux premiers éléments. Le regroupement s’opère néanmoins vers Saint-Maixent et la colonne est au complet le soir à Aigre-Montignac.
L’embarquement des compagnies
De grosses difficultés surgissent du fait que des officiers et sous-officiers logent encore en ville par suite d’un manque de place disponible à l’ERG. En outre, les préparatifs de départ n’ont pas été poussés dans les unités pour ne pas créer d’affolement prématuré. Beaucoup de matériel précieux (vivres, cochons, légumes) ne pourront être chargés. Néanmoins à 5 heures le personnel est embarqué dans les wagons y compris les Annamites.
Les trains de munitions ont tous été livrés à la gare de Thouars et cette dernière est prête à expédier le train de personnel dès 6 heures.
A partir de six heures, le contact par téléphone est maintenu avec la gare afin de connaître l’heure jusqu’où il sera possible de conserver le train à l’ERG en cas d’évolution favorable de la situation.
Il est également maintenu avec la subdivision et le général commandant l’artillerie pour avoir des renseignements sur la situation, les tenir au courant des dispositions prises et obtenir si possible l’ordre de repli. Une discussion s’engage à ce sujet ; d’une part la subdivision prétendant que l’ERG est un établissement de l’Artillerie qui ne dépend donc pas du territoire et d’autre part le général commandant l’Artillerie disant qu’au contraire l’ordre de repli ne peut venir que du commandement territorial qui seul est au courant de la situation. Vers 9 heures, l’officier de liaison en direction de Saumur rend compte qu’un officier d’état-major de la 4ème Région, rencontré à Montreuil-Bellay, lui a dit qu’il y aurait lieu de se replier immédiatement.
Vers 10 heures la gare prévient que dans quelques instants elle ne répond plus de pouvoir assurer le départ du train de personnel. Cet avis est transmis téléphoniquement aux deux autorités ci-dessus qui toutes deux donnent l’ordre de procéder au repli. A 10 heures, le train emportant 1500 hommes quitte l’ERG. Il ne stationne que quelques minutes en gare de Thouars et prend la direction d’Angoulême ; la première destination qui lui est assignée.
La mission ravitaillement
En ce 19 juin, à 10 heures, se présente aussi à l’ERG, le capitaine adjoint au colonel commandant Saumur qui demande si la constitution des batteries est encore possible sur les bases fixées la veille. Il lui est répondu que cette solution n’est plus possible, les pièces de 75 ont traversé Thouars à l’aube en se dirigeant vers le sud et le personnel est embarqué par voie ferrée. Le détachement restant à Thouars est ensuite rassemblé et organisé. Il y a eu quelques défections. Des mesures sont prises pour le ravitaillement en vivres.
Le ravitaillement en munitions de diverses unités commence : à 11 heures 1200 coups de 75 au 106ème DIM, à 16 heures munitions d’infanterie à l’école de Saint-Maixent et à 20 heures munitions diverses à la 2ème DIM.
L’action personnelle du commandant, déjà difficile, se complique. Les familles sont sur les routes ainsi qu’une compagnie à pied, les autres unités dans le train (1500 hommes), un détachement maintient l’ERG en vie. Le bon déroulement de l’opération de repli repose sur le commandant qui doit aussi rester en liaison avec le commandement. Dans ces conditions il sera fréquemment sur la route.
Le commandant se rend à Aigre-Montignac
Vers 11 h 30, la situation étant calme, le commandant décide de se rendre à la direction de l’artillerie à Angoulême avec laquelle il n’y a plus de liaison téléphonique pour lui rendre compte des dispositions prises et faire préciser la question du sabordage de l’ERG.
Il déjeune à Saint-Maixent et double la colonne automobile à la sortie sud de la ville. Il se présente à la 3ème direction au colonel adjoint au directeur et le met au courant de la situation. Celui-ci approuve les mesures prises mais demande que l’on essaie de charger et expédier tous les amorçages sur l’arrière. Il prescrit, si cette opération n’est plus possible, de saborder les amorçages et les poudres avant l’arrivée de l’ennemi et indique Toulouse comme point de destination du train de personnel. Le commandant de l’ERG fait remarquer que le sabordage des poudres présente un réel danger pour le voisinage.
L’ordre de chargement et d’expédition des amorçages est immédiatement transmis par téléphone à l’ERG.
Après être passé à la gare d’Angoulême pour chercher à obtenir des renseignements sur le train de personnel et lui faire donner sa destination définitive, le commandant de l’ERG reprend la direction de Montignac où la colonne doit stationner. Il fait installer un PC provisoire à la gendarmerie de Montignac d’où il peut facilement obtenir la liaison téléphonique avec l’ERG, avec la subdividion de Niort, avec l’Artillerie de la 9ème région à Poitiers et la direction de l’artillerie à Angoulême.
Les liaisons ayant été établies, il donne à nouveau des ordres en ce qui concerne les amorçages ainsi que la préparation du sabordage. Il lui est répondu que les amorçages peuvent être chargés dans la nuit mais que la gare ne pourra pas en assurer l’expédition. Puis la situation étant inchangée, le commandant passe la nuit à Aigre, près de Montignac après avoir indiqué au commandement du groupe des compagnies de Montignac que de nouveaux ordres lui seront donnés en ce qui concerne les étapes futures.
Les quiproquos du 20 juin
Le commandant de l’ERG essaie d’obtenir des renseignements sur le train transportant le personnel. L’officier de détails envoyé le 19 au soir en gare d’Angoulême pour ravitailler au besoin le personnel n’a pu obtenir aucun renseignement sur sa position. Par téléphone, la gare de Niort précise que le train n’a pas franchi encore cette gare. Les communications téléphoniques sont lentes en raison des nombreuses alertes sur Angoulême et Poitiers. Toutefois les liaisons sont à peu près constantes avec la subdivision à Niort et l’ERG.
Les dispositions à prendre sont à nouveau confirmées au commandant du détachement resté à Thouars.
Vers 11 h 30, la subdivision signale que des éléments blindés ennemis sont entre Doué-la-Fontaine et Thouars à Bouillé-Loretz. Ce renseignement est transmis à la direction de l’artillerie. L’autorisation de saborder est accordée. L’ordre est transmis à 11 h 30 à l’ERG. Il n’est pas exécuté car le commandant du détachement a pu vérifier que le renseignement était faux ; il s’agissait d’éléments français.
Reçu du commandant du détachement de Thouars, communication d’un ordre écrit du général commandant l’artillerie ainsi libellé :
<<<<< 9ème région Poitiers, 20 juin 1940, 8 heures Artillerie L’ordre impératif est de ne pas se replier. Si c’est donc possible, rentrez à l’ERG de Thouars avec votre personnel. Les trains de munitions seuls continuent leur route. Le général commandant l’artillerie de la 9ème région. >>>>>
Cet ordre est la confirmation d’un télégramme du ministère de la guerre reçu le 18 juin à 16 heures par la région et transmis par l’intermédiaire du parc de Poitiers. Le commandant de l’ERG téléphone au général commandant l’artillerie pour lui rendre compte que cet ordre est inexécutable, que la situation ne permet pas le retour du personnel et que d’autre part la mission sera assurée intégralement par le personnel resté sur place, quoi qu’il arrive.
Le commandant de l’ERG fait un aller et retour
Au début de l’après-midi du 20 juin, inquiet de n’avoir aucun renseignement sur le train de personnel dont le ravitaillement était faible, le commandant se rend successivement à la gare d’Angoulême qui ne sait rien, puis vers 16 heures à celle de Niort où il apprend que le train a franchi cette gare à 14 heures.
Il passe ensuite à la subdivision où le colonel COURCELLE le fixe sur la situation en avant et lui confirme que le renseignement sur Doué-la-Fontaine, bien qu’officiel, était faux. Il repart ensuite à Thouars avec le capitaine FERRET, spécialiste des munitions afin de préciser les derniers ordres concernant la mission et de vérifier les dispositions prises quant à la destruction des amorçages.
En passant à Parthenay, il croise une partie du détachement laissé à Thouars. Cette fraction constitue un premier échelon de repli. Elle se dirige sur la forêt de Saissine où elle attendra le reste du détachement. Le lieutenant commandant le détachement de Thouars à jugé qu’il avait beaucoup trop de personnel pour assurer sa mission.
Arrivé à l’ERG, le commandant constate que tout fonctionne parfaitement. Le ravitaillement des unités qui se présentent est bien assuré : l’école de Saumur perçoit vers 10 heures des munitions d’infanterie et du 75, la 2ème DIM vers 14 heures touche des fusils mitrailleurs et des cartouches, le 4ème Dragons perçoit vers 15 heures 40 fusils modèle 1886, 6 fusils mitrailleurs, 10 caisses de cartouches et à 16 heures, l’école de Poitiers reçoit 200 coups de 75.
Il trouve l’ordre écrit de rejoindre Thouars avec tout le personnel.
Le dispositif de mise de feu aux magasins à amorçages est vérifié par le capitaine FERRET. Le capitaine MAILLARD de la 3ème division arrive à l’ERG vers 19 heures, il y séjourne pendant quelques instants puis repart pour Poitiers. Les dernières instructions sont données au commandant du détachement. Un convoi de 5 camions provenant de la colonne auto doit lui arriver dans la nuit pour lui permettre d’enlever facilement tout son personnel et quelques matériels précieux, en particulier deux moto-pompes.
Le commandant regagne Montignac ou il arrive au lever du jour, le 21 juin.
L’Allemand aux portes de l’ERG
Depuis Aigre-Montignac, le commandant rend compte, dans la matinée, des dispositions prises par l’artillerie et à la 3ème direction à Angoulême.
L’ordre est reçu de ne pas évacuer complètement ni saborder avant d’avoir assuré le ravitaillement du COAH de la Rochefoucault qui déclare avoir demandé des moyens de transport à Bordeaux. Renseignements aussitôt transmis à la 3ème direction.
L’ERG prévient que l’approche de l’ennemi ne permettra sans doute pas ce ravitaillement.
Pendant la nuit du 20 au 21, le ravitaillement des unités combattantes a continué sans incident. De 20 heures à 4 heures, les unités suivantes se sont présentées et sont ravitaillées : la 308ème compagnie, la 2ème DIM, l’école de Poitiers, 2ème groupe de Chinon.
Vers 4 heures, le commandant du détachement fait le point de la situation. Les Allemands sont contenus à Chacé par les élèves de Saint-Maixent mais ils tiennent Clalonne au sud de la Loire et se trouvent sur la route 138 entre Saumur et Montreuil-Bellay, à 5 km au nord de cette localité.
Aucune troupe Française ne se trouve dans les environs immédiats en dehors de celles qui refluent en désordre sur toutes les routes.
A 4 heures, le lieutenant Schmidt, parti la veille au soir de Montignac, arrive à l’ERG avec 5 camions. Il fait atteler immédiatement les deux moto-pompes qu’il a mission d’emmener. Aucune unité ne se présente plus pour être ravitaillée.
A 7 heures, un exercice d’embarquement est effectué avec le personnel. Toutes les voitures sont chargées, prêtes au départ, puis la colonne est camouflée pour échapper à la surveillance incessante de l’aviation ennemie.
A 9 h 30, le commandant du détachement fait amorcer les charges de destruction, opération qui demande 45 minutes, à 11 heures il apprend que Cholet à l’ouest et Loudun à l’est sont aux mains de l’ennemi. A 12 heures, il envoie une reconnaissance en direction de Montreuil-Bellay au nord.
Il n’a plus de réponse des bureaux de poste immédiatement en avant de lui. A 12 h 15, il apprend par la place de Thouars que les Allemands avancent rapidement sur la route de Loudun. A 12h 30, le détachement se met en route par Thouars. Le commandant du détachement, deux brigadiers-chefs artificiers et deux hommes mettent le feu aux amorçages. Cela demande environ une demi-heure. A ce moment des éléments de la 2eme DIM s’installent dans la région de l’entrepôt et font connaître au lieutenant que les Allemands sont à Puiraveau, soit à 2 km à l’est et aussi à l’entrée nord de Thouars.
Avec le reste de son détachement, l’officier traverse Thouars et rejoint ses premiers éléments au sud de cette ville après avoir pu constater les effets des démolitions opérées.
Toutes ces opérations ont été effectuées sous la surveillance et la menace presque continuelles de l’aviation ennemie.
A 14 h 30, le commandant du détachement téléphone au commandant de l’ERG… « mission accomplie, arrivons ce soir avec 150 hommes environ, y compris les gradés ».
Les éléments faisant la route à pied (conducteurs et chevaux) ne devaient rejoindre que plusieurs jours après.
A 23 heures, ce 21 juin, le commandant du détachement, lieutenant CHANCRIN, rendait compte de sa mission au commandant de l’ERG à Aigre.
Les 19 et 20 juin, sur la Loire, à Saumur, 2200 hommes se sont opposés à 12000 Allemands. Leur résistance pour l’honneur n’a pas été vaine. Entre autre, elle a rendu possible le repli de l’ERG de Thouars. Ces 2200 hommes étaient soldats, élèves, officiers-instructeurs ; 28 brigades des élèves aspirants de réserve de Cavalerie et du Train, le 2ème Bataillon de Marche d’EAR de l’école d’infanterie de Saint-Maixent, des éléments d’unités repliées du nord, les restes du 1er groupe Franc motorisé du capitaine Neuchèze, quelques tirailleurs Nord-Africains, des éléments du 6ème régiment du Génie d’Angers, chargé de faire sauter les ponts. Les EAR de Saumur et de Saint-Maixent terminaient leur instruction militaire, la plupart étaient sursitaires en septembre 1939. Au cours des mois qui précédaient, ils étaient encore sur les bancs des collèges, des lycées, des séminaires et des universités, mais déjà formés à une discipline morale, intellectuelle et physique. Ce sont ces 2200 hommes qui se battront pour empêcher le passage de la Loire, avec le seul armement léger d’instruction, ne disposant pas d’artillerie, a fortiori pas d’aviation et dont la mission se résume en quelques mots : faire payer le plus cher possible par l’ennemi le passage probable de la Loire. En face : 12000 hommes, des troupes allemandes au moral exceptionnel, aguerries et puissamment dotées en matériel, dont la 1ère division de Cavalerie de Prusse Orientale qui a déjà combattu en Pologne avant la campagne de France…
22 Juin 1940. Repos de courte durée… des voisins gênants !
Journée calme ; les cantonnements s’installent, le matériel est vérifié, les pleins sont faits. Peut-être pourra-t-on séjourner quelques jours dans cette zone qui offre des possibilités de ravitaillement et d’installation satisfaisantes.
Un détachement est toutefois envoyé à Toulouse (lieutenant TRARIEUX et quelques gradés et hommes) pour prendre contact avec le commandement régional, demander des cantonnements et assurer la liaison avec le personnel embarqué par voie ferrée.
Vers la fin de l’après-midi, l’EM de la IVème région cantonné au château d’Aigre fait ses préparatifs de départ. Renseignement pris, il part le lendemain au lever du jour.
Vers 23 heures, le motocycliste de liaison apporte au commandant de l’ERG un renseignement écrit envoyé par le lieutenant BERVAS du PC de Montignac : les Allemands sont à Saint-Maixent. Ils ont été vus à la tombée de la nuit par des sous-officiers du groupe, retournés voir leurs familles aux environs de Saint-Maixent.
Au reçu de cette nouvelle, le commandant de l’ERG se rend au PC de Montignac pour faire préciser les renseignements. Aucun doute n’est possible…
23 Juin , on repart !
Le commandant décide le départ de la colonne pour 5 heures. Le point de première destination sera la Rochebeaucourt, on contournera Angoulême par le nord.
Il rentre à Aigre vers 2 heures du matin. L’EM de la IVème région vient de partir. On charge les voitures et on repart. Au passage à Montignac, les colonnes se forment : une colonne automobile, une colonne à bicyclette, le reste du personnel à pied. La colonne automobile reviendra à la rencontre du personnel à pied.
La route s’effectue sans incident mais sous la pluie. Le détachement au complet est rendu à la Rochebeaucourt dans le milieu de l’après midi. Grosses difficultés de ravitaillement et impossibilité de s’installer. De plus vers 15 heures, un détachement de l’armée de Paris arrive pour cantonner à la Rochebeaucourt. Il faut donc quitter ce cantonnement déjà précaire.
Le commandant de l’ERG prend contact avec le PC de l’armée de Paris à Villebois-Lavalette pour obtenir un cantonnement dans la zone de cette armée. On lui indique Verteillac à 15 km au sud de la Rochebeaucourt où il se rend immédiatement. Mais Verteillac est, paraît-il réservé pour un régiment de char (ce qui est faux).
Il faut remonter vers le nord à Cherval pour trouver enfin un vague cantonnement après de grosses difficultés ; quelques pauvres fermes au bord de la route. Toute la nuit, les colonnes automobiles défilent sans arrêt et à toute allure… L’ennemi doit approcher.
5. DIRECTION : LE SUD…
24 Juin 1940, en route !… Où courir ?… Où ne pas courir ?…
La situation est difficile, l’encombrement doit être formidable sur les ponts de la Dordogne. Des bruits circulent que l’on arrête les voitures civiles et que la population est tellement dense au sud de la Garonne que le ravitaillement devient impossible.
La colonne qui comprend beaucoup de voitures légères suivra difficilement dans cette formidable cohue. Elle risque de se dissocier rapidement, des accidents sont à prévoir en raison de l’allure et de l’indiscipline des convois militaires. Tout fait supposer qu’il sera difficile d’atteindre Toulouse.
Moment d’hésitation pénible. Faut-il abandonner les familles alors qu’elles ont trouvé peut-être une dernière fois un gîte acceptable dans une zone où il est encore possible de vivre ? Faut-il au contraire tenter une nouvelle étape vers le sud en risquant de voir les voitures civiles arrêtées aux ponts de la Dordogne ?
De toute façon, la colonne est trop lourde avec les éléments à pied. Les éléments automobiles pourront toujours arriver à vivre en plein bled. La question du cantonnement n’est pas inquiétante, on couchera dans les camions. Par ailleurs, les vivres en réserve seront suffisants pour vivre plusieurs jours si le personnel est réduit.
Le lieutenant d’approvisionnement est envoyé à Riberac pour tenter d’embarquer à la gare tout le personnel qui ne trouve pas place dans les camions. Il réussit à obtenir des wagons, l’embarquement aura lieu dans la matinée du 24.
A 8 heures, les commandants d’unité sont réunis. Toutes mesures sont prises pour diriger immédiatement le personnel à embarquer sur Riberac. Dès le retour des camions, la colonne auto se prépare à partir pour la région de Fumel en direction de Toulouse. Ordre est donné de tenir le groupe prêt à partir pour 13 heures. Ce délai permettra au commandant de l’ERG de faire une reconnaissance jusque sur les ponts de la Dordogne. Il part avec le lieutenant BOULIN par Riberac, Mussidan, Bergerac.
Grosses difficultés au cours de cette reconnaissance. Circulation très intense, sans aucune discipline de marche. L’impression est très nette que les petits véhicules courent de gros risques d’accident. Le pont de Bergerac est barré. Il faut obliquer vers l’est. L’embouteillage est considérable auprès du premier pont en amont, le pont de Mouleydier ; les colonnes se présentent venant de l’est et de l’ouest. Impossible d’emprunter cet itinéraire avec la colonne du groupe. Le commandant de l’ERG conclut qu’il faut chercher à se rapprocher le plus possible de la Dordogne par un itinéraire moins encombré, puis, en surveillant attentivement les ponts, essayer de profiter d’un moment où l’encombrement sera moins grand pour franchir la rivière.
Ce moment doit normalement se produire quand les gros convois automobiles (parcs divers, artillerie tractée etc…) seront écoulés. Ayant appris que les ponts en aval de Bergerac ont sauté, que celui de Bergerac est interdit pour permettre de le détruire prochainement, que la poussée de l’ennemi se précise en direction de Bordeaux à l’ouest et de Clermont-Ferrand à l’est, le commandant a le sentiment qu’il vaut mieux obliquer vers le sud-est en direction de Cahors, en évitant Périgueux, qui doit être également fort encombré et en évitant à tout prix les routes surchargées.
Abandonnant l’itinéraire reconnu, et, grâce à un militaire du pays, il reconnaît en retour un itinéraire permettant de gagner la région sud-ouest de Périgueux par des routes complètement libres : Bergerac, Vergt, Périgueux, La Tour Blanche. La traversée de Périgueux montre qu’il faudrait éviter autant que possible cette ville entièrement encombrée de camions.
Il décide alors de faire un premier bond pour emmener la colonne du groupe à l’ouest de Périgueux par La Tour Blanche puis d’atteindre ce point pour juger si la traversée de Périgueux devient possible. Sinon un crochet sera fait par Saint-Astier pour gagner ensuite la zone de Vergt. De Vergt, le choix pourra s’exercer sur trois solutions suivant les enseignements du moment : obliquer vers le sud-est en direction de Sarlat-Cahors, pousser vers le sud par les ponts de Lalinde ou Le Bugue et aller franchir la Dordogne au premier pont reconnu (pont de Mouleydier) pour reprendre l’itinéraire vers Fumel.
Le commandant de l’ERG est de retour au cantonnement vers 14 heures. Malheureusement les ordres ont été mal compris ou mal exécutés. Le groupe est parti à 13 heures sur l’itinéraire arrêté le matin avant reconnaissance. Il ne reste que quelques voitures transportant plusieurs familles et quelques camions à bagages.
Ordre est donné d’arrêter tout mouvement. Un agent de liaison est envoyé à la poursuite de la colonne pour donner l’ordre de faire demi-tour. Une voiture de liaison part sur un itinéraire détourné vers le pont de Mouleydier afin d’arrêter les éléments qui n’auraient pas encore franchi la rivière et de les ramener dans la région de Vergt. Ce contre-temps est malheureux, il a fait naître beaucoup d’inquiétude parmi le personnel qui attendait le retour du commandant.
Les colonnes motorisées continuent de défiler sans arrêt, elles annoncent même l’approche de l’ennemi.
Mais le calme renaît quand chacun apprend que la route à suivre sera facile. Il est bien regrettable que le groupe entier ne soit plus là. Vers 15 heures, le reste du groupe se met en route par la Tour Blanche où l’on se ravitaille en vivres puisque le service ravitaillement a suivi le gros de la colonne. Le détachement se dirige vers Périgueux par une route superbe. C’est un véritable soulagement et une vraie détente pour tous de retrouver un peu de calme et de tranquillité.
Plusieurs haltes sont faites pendant lesquelles le commandant de l’ERG pousse rapidement des reconnaissances sur Périgueux afin de se rendre compte si le passage devient possible. La densité des convois semble diminuer. Puis il apprend que l’armistice va être probablement signé le soir. Il apporte cette nouvelle à la colonne. Une halte est décidée pour manger dans un coin merveilleusement calme. Mais aucune nouvelle ne parvient du reste du groupe. Quelques éléments rejoignent cependant, ceux qui ont pu être rejoints par l’agent de liaison et qui ont fait demi-tour.
Enfin arrive le bruit de la signature de l’armistice. Dans six heures les hostilités seront suspendues.
Il paraît prudent de pousser plus au sud pour éviter d’être fait prisonnier. Et enfin de ne pas traverser Périgueux, toujours encombré, un détour est fait par Saint-Astier. Etape de nuit commencée sans phares. La colonne s’en tire bien mais la nuit s’assombrit ; il faut allumer. La traversée de Saint-Astier et du pont sur l’Isle sont encore barricadés. On apprend que la défense de Saint-Astier avait été organisée…
La colonne pousse plus au sud, jusqu’à Monzac où il est décidé de passer la nuit, dans les voitures, sur la place du village. Nuit un peu agitée, des convois passent, il pleut sans arrêt.
25 Juin 1940, le bout du voyage ?
Au lever du jour, la colonne se remet en route pour Vergt. Toujours la pluie, Vergt est vide de troupes. On s’installe. Le ravitaillement paraît assez facile. Aucune raison de pousser plus loin, le cantonnement est établi.
Mais dans la journée, arrivent les premiers éléments d’une division qui revient du sud. Troupes du front « en pays conquis ». Il faut déménager pour aller loger ailleurs. Reconnaissance à Breil qui n’est pas dans la zone de la DI puis au Fraysse où une école d’agriculture et des fermes environnantes offrent des possibilités. Mais le soir, des éléments d’une autre DI viennent occuper Breil.
Après un voyage à Alvère pour toucher le PC de cette autre DI, d’ailleurs introuvable, et à Périgueux pour voir le propriétaire du château de Breil et lui demander refuge pour les familles, il est possible de rester à Breil et au Fraysse ; l’installation est satisfaisante. Popote au Fraysse ; les dortoirs des élèves sont utilisés par les officiers et les sous-officiers. Une partie des familles s’installe à l’école du Fraysse.
Vers une vie nouvelle ?
Il va être possible enfin de retrouver un peu de calme. La fraction partie à Fumel rejoint au bout de quelques jours. Les éléments épars du groupe se retrouvent peu à peu. Des renseignements sur le train de Thouars parviennent enfin. Le détachement de 1500 hommes est installé au camp de Rivesalte. Il sera libéré sur place.
Une visite à Montauban à la direction de l’artillerie permet de faire préciser et régulariser la situation de l’ERG. Ses éléments sont rattachés au parc de Limoges, ils doivent rester sur place jusqu’à nouvel ordre et ils ont enfin le droit de cité.
Puis une vie monotone commence et va durer jusqu’au 14 juillet. Le commandant de l’ERG prend contact à deux reprises avec l’état-major de l’artillerie à Limoges. Il est question de la création d’un dépôt de munitions à Saint-Astier. Les cadres de l’ERG pourraient en prendre la direction.
En effet, le 13 juillet, l’EM de l’ERG est désigné pour créer ce dépôt. Cette fois c’est la dislocation définitive de ce qui fut l’ERG de Thouars.
Puis reconnaissance à Saint-Astier, premiers projets, premières installations. Il faut se remettre au travail. Les conditions sont difficiles. Saint-Astier est surchargé de troupes et de populations évacuées. Grandes difficultés pour se faire une place.
Les éléments de l’ERG sont progressivement envoyés du Fraysse et à mesure qu’il est possible de les installer. Ils rejoignent à contre-cœur. Le travail est pénible et le ravitaillement est insuffisant. Peu à peu, le nouveau dépôt prend vie et s’installe vaille que vaille.
Puis s’écouleront des jours monotones, sans histoire, marqués le plus souvent par des changements perpétuels dans le personnel et les chefs, par les pénibles séparations des vieux compagnons d’armes que l’inexorable limite d’âge allait contraindre successivement au départ… et surtout par l’amertume profonde d’assister chaque jour aux livraisons à l’ennemi de notre beau matériel.
Tels furent les derniers jours de l’ERG de Thouars. Mais malgré les épreuves, il n’a pas voulu mourir. Son âme inlassable s’est perpétuée longtemps au fond des carrières de Saint-Astier avant de renaître par un beau jour de 1945.
EPILOGUE
Voilà, c’est fini…Ce n’était pas la chevauchée fantastique, mais une simple aventure de guerre au début d’une période bien difficile de l’histoire de notre pays.
Il faut cependant ajouter que le chef d’escadron BOCHOT réunit le 13 juillet 1940 le personnel de l’ERG et prononça une allocution dans laquelle, sans oublier personne, il remercia de leur fidélité et de leur comportement tous les personnels, troupes, sous-officier, officiers, personnels civils, familles qui avaient participé à l’aventure. Il exprimait aussi sa confiance absolue dans un meilleur avenir pour la France.
Les militaires lui étaient redevables de ne pas connaître les stalags et oflags du troisième reich. Les familles, grâce à lui, se retrouvaient en zone encore libre.
Le commandant de l’ERG avait rédigé des propositions de citations avec attribution de la croix de guerre pour les convoyeurs du train dont nous avons précédemment relaté l’histoire, mais aussi pour les officiers, sous-officiers et gradés qui, juste avant l’arrivée des Allemands, détruisirent les amorçages, ainsi que pour les officiers envoyés le 18 juin en reconnaissance vers le front.
Aucune de ces propositions ne fut retenue sauf celle des convoyeurs.
CHRONO DE L’OCCUPATION ALLEMANDE DU DMU DE THOUARS…
Juillet 1940
1ère occupation de Thouars par la 3ème division anti-char P14 (3ème Panzer Abwerhr-Abteilug 14) venant de la région du Mont-Saint-Michel, et promue à Thouars : régiment P563 (Panzer-Jager Abteilung 563). Une compagnie (commandée par le Commandeur Major KLAR, l’Hauptmann KLUP 1/P, le Leutnant BUNNEMAN II/I/P) investit le camp de l’ERG. L’opération dure quelques semaines puis s’étend à toute la ville de Thouars.
Vendredi 28 Février 1941
Au camp de munitions, sabotage par enlèvement d’une courroie de transmission. Pas de dégâts importants.
Lundi 3 Mars 1941
Les munitions du camp de Puyravault changent de direction.
Nuit du 30 au 31 Août 1941
Entrepôt des munitions de Puyravault. Vol par deux hommes, sur lesquels les sentinelles allemandes tirent sans résultat. 15 employés sont arrêtés, questionnés puis relâchés.
Samedi 15 Août 1942
M. Gustave ROMPILLON, contremaître principal au camp de Puyravault est envoyé à la police par le chef de camp, le Leutnant Allemand GAR, pour demander que l’on veuille bien faire effectuer des recherches en vue de trouver la trace du nommé CANIOT Alphonse, lequel n’a pas repris son travail depuis le 9 août. Il est porteur d’un laisser passer n° 107 donnant libre entrée aux munitions tout le mois d’août. Aucun soupçon sur les motifs de sa disparition. L’intéressé n’a pas touché sa paie.
Vendredi 30 Avril 1943
Les ouvriers dénommés : GUILLON, CHALAIS, MARTINEZ, LAZANO, Roland DESPLANCHES, Paul LOEL travaillant au camp des munitions ne partiront pas au STO en Allemagne et ne passeront pas par conséquent la visite de 14 heures du 1er mai 1943.
Jeudi 21 Mai 1943
Au camp de Puyravault, sabotage par blocage d’une aiguille avec deux pierres. Une locomotive déraille et deux wagons. La Feldgendarmerie arrête André GOUAIS, 17 ans, de Belleville (Ste Verge) qui reste détenu 6 mois à la prison de Niort.
Mardi 29 Août 1944
La poudrière et les munitions du camp de Puyravault explosent.
LE DEPOT MUNITIONS DE DIRAC…
L’histoire du dépôt de munitions de DIRAC n’est pas longue. Il s’agit d’un dépôt neuf.
En 1964, le commandement décide l’implantation d’un dépôt de munitions sur un terrain militaire dans la forêt de DIRAC. Ce dépôt est destiné à remplacer celui de Sainte-Hélène, vétuste, dépendant de l’établissement régional du matériel de Bordeaux.
Sa réalisation est effective en 1967 et, tout naturellement, remplaçant Sainte-Hélène, il est rattaché à l’ERM de BORDEAUX.
En 1971, le service des munitions de cet établissement s’installe à SEDZERE. Le dépôt de DIRAC, trop éloigné, est rattaché à l’ERGM de POITIERS.
Une restructuration des services de munitions a lieu en 1974. Cette réorganisation a pour première conséquence la suppression du service des munitions de l’ERGM de Poitiers. DIRAC devient alors dépôt annexe de l’ERGMU de Thouars.
Bien qu’éloigné de sa portion centrale, il a l’avantage d’être dans la même division militaire territoriale. Il relève alors du général commandant la 42ème DMT et du colonel, délégué militaire départemental de la Charente et commandant d’armes d’Angoulême.
Situé au sud-est du département de la Charente il est à 170 km de Thouars (portion centrale), 140 km de Bordeaux (EM/4ème RM), 110 km de Poitiers (42ème DMT), et 12 km d’Angoulême (DMD Charente).
Le dépôt est en bordure de la RD 939 allant de La Rochelle à Périgueux. Il n’est pas desservi par voie ferrée. La superficie de l’emprise est de 28 ha avec 3 km de clôtures et de routes.