par Régis Hoyet
Merci aux différentes sources qui ont permis d’écrire et de publier ici cette histoire :
à Robert BORNECQUE, agrégé d’histoire, professeur de Lettres Supérieures à Grenoble en 1965 ; aux archives départementales de l’Isére ; au fonds Dauphinois de la bibliothèque de Grenoble ; aux archives du Génie de Grenoble ; et enfin, au service historique des armées…
Le Fort BARRAUX occupe plus de 26 000 m² dont 4 300 m² de surface bâtie. Il a servi successivement de place forte entre la France et la Savoie, de fort de garnison jusqu’en 1940, de dépôt de prisonniers politiques de 1940 à 1945 et de prisonniers de guerre de 1945 à 1948, puis de dépôt de munitions de 1948 à 1985 et enfin plus récemment un camps d’aide à la réinsertion pour des jeunes en difficultés.
Voici donc l’histoire exceptionnelle de ce fort qui a traversé les tourmentes de l’histoire…
Situation géographique :
Le village de Barraux se blottit au pied du grand abrupt oriental du massif de la chartreuse, sur un petit gradin qui domine d’une quarantaine de mètres le Grésivaudan où divague l’Isère. En face, se trouve la ville de Pontcharra ; immédiatement au Nord, la plaine s’étale et bifurque en débouchant sur la Savoie : Une branche conduit à Chambéry, l’autre mène aux grands passages alpestres commandés par la Maurienne et la Tarentaise.
Sur l’aval on atteint Grenoble au bout d’une quarantaine de kilomètres. La situation de Barraux est donc militairement fort intéressante : face à la Savoie, pays étranger jusqu’en 1860, il est le premier verrou que l’on puisse tirer dans le Grésivaudan pour couvrir Grenoble ; il est aussi la base la plus avancée capable d’appuyer une action vers Chambéry ou Albertville. On peut dire que Barraux joue pour la France un rôle analogue à celui de Montmélian pour la Savoie, cette place ayant pour elle l’avantage d’un incomparable gîte escarpé.
Il n’est donc pas étonnant de trouver à proximité du village de Barraux un fort, lui-même successeur probable d’un donjon médiéval. Fondé en 1597, le « Fort Barraux », perfectionné aux XVIIe , est un témoin d’architecture militaire peu connu.
La fondation du fort :
Depuis 1590, Lesdiguières avait mis fin à son équipée de chef de parti pour défendre, face à la Savoie, le véritable intérêt de la France. Conscient de sa valeur, Henri IV l’avait nommé en 1597 lieutenant-général du Dauphiné. Cette même année, le futur connétable, au terme d’une brillante campagne, toute de mouvement, écrasait les troupes de Charles-Emmanuel au combat des Molettes. Le duc de Savoie, retiré sur la rive droite de l’Isère, se consola de son échec en ordonnant la construction d’un fort sur une butte propice, à côté du village de Barraux. En raison de la date de cette fondation (24 août 1597), le fort reçut le nom de Saint-Barthélémy. Les travaux furent menés rondement, ainsi qu’en témoignent les nombreuses réquisitions d’artisans et de chars, jusque dans le mandement de Bugey.
Il est malaisé de se faire une idée exacte du fort à cette époque ; les documents sont rares, de date parfois imprécise. On peut penser que le plan et la vue cavalière attribués à Claude de Chastillon datent des environs de 1600, époque où cet ingénieur du roi, qui suivait Henry IV dans ses campagnes, a donné une vue de Montmélian. La gravure montre une citadelle allongée dont l’entrée, précédée d’une demi-lune, s’ouvre vers la Savoie. Quatre bastions à orillons au curieux tracé anguleux et deux demi-bastions de même dessin assurent le flanquement de la place. Des échauguettes coiffent la pointe et les épaules des bastions ; quelques bâtiments se dispersent à l’intérieur.
Plan de 1957
La prise du fort par Lesdiguières :
Par Bravade autant que pour des raisons militaires, le duc de Savoie avait choisi un emplacement situé en territoire français, à trois quart de lieue de la frontière. Videl, secrétaire et biographe de Lesdiguières, l’explique avec humour. « C’estoit, comme nous avons dit, pour avoir une forteresse sur les terres du roy, en ayant envoyé le plan à la plupart des princes d’Italie, et se consolant par cette peinture de tous les mauvais succès qui lui étaient arrivés en effet. » Lesdiguières, posté au Château Bayard, ne manquait pas de suivre attentivement les travaux. A ceux qui s’inquiétaient, au roi notamment, il répondait : « Laissez-les faire, ils travaillent pour nous, je le prendrai quand ils l’auront achevé. »
En mars 1598, il estima le moment venu. Ayant fait mine de conduire ses troupes vers l’Oisans, il les regroupa avec le matériel nécessaire à quelques distance du fort. Missions, échelles et pétards distribués, l’approche commença dans la nuit du 15 au 16 mars. Malheureusement les valets laissés à la garde des bagages allumèrent des feux et alertèrent la garnison. L’entreprise n’en fut pas interrompue pour autant. Des attaques simulées partout à la fois, des pétards placés à la porte et à la poterne dispersèrent les efforts des défenseurs. Le point faible du fort avait été dès longtemps repérés par deux capitaines qui avaient même réussi à mesurer avec une hallebarde la hauteur de la courtine pour y approprier la longueur des échelles !
L’assaut y fut donné avec succès, malgré le feu tiré des échauguettes. La résistance s’acheva sur la demi-lune de Savoie. Drapeaux, prisonniers, artillerie et munitions étaient capturés en grand nombre. Désormais le Fort Barraux était français.
Les aménagement du XVIIe siècle :
Le tracé du Fort barraux laissait beaucoup à désirer. Les mémoires des responsables successifs en soulignent à maintes reprises les défauts. Le front dominant l’Isère était mal flanqué ; les courtines s’élevaient insuffisamment, notamment vers l’angle sud, par où avait eu lieu l’escalade. Les fossés étaient trop étroit, peu profonds, le talus de la contre escarpe, trop peu élevé, laissait souvent voir la courtine presque jusqu’à son pied, la rendant vulnérable à un tir d’artillerie. La plate-forme du fort, enfin était toute bosselée et, par la suite, fort mal défilée aux vues et aux coups de l’ennemi. L’emplacement pourtant était bon : « Si de dessin de cette fortification est une fois en sa perfection, la place sera meilleure que Montmélian et donnera beaucoup d’avantages aux entreprises que le roy voudra bâtir de ce côté là ; elle couvre Grenoble et lui sert de frontière comme à tout le reste du pays ». (Mémoires anonyme ; 1598.)
Raymond de Bonnefons, jusqu’en 1607, puis Jean de Beins, géographes et ingénieurs du roi, s’efforcèrent de corriger ces faiblesses. Les travaux furent d’emblée considérables, justifiés par la politique menée par Henri IV à l’égard du duc de Savoie. Lesdiguières en témoigne : « Nous faisons travailler à Exilles et à Barraux ; le revestissement de cette dernière place paraît fort ». Dans les comptes de fortification, les dépenses accordées pour Barraux figurent souvent en tête de liste des places du Dauphiné.
Plan de 1608
Le projet le plus complet et le plus intéressant fut donné à Jean de Beins en 1608. Un plan conservé au British-Muséum [publié dans un article de J.Buisseret : Les ingénieurs du Roi sous Henry IV, in Comité des travaux historiques et scientifiques. Bulletin de la section de géographie. Tome LXXVII – 1964] permet d’en préciser les articles. Le bastion Lesdiguières, au centre du front de l’Isère, déjà remanié par Bonnefons (suppression des orillons) est porté en avant, la nouvelle courtine absorbant les flancs des bastions Dauphins et Morges (du nom d’un des conquérant du fort et son premier gouverneur). On peut remarquer au passage que les orillons ne sont pas forcément un signe d’archaïsme : ici Jean de Beins les rétablit dans le bastion qu’il projette ; Vauban, à l’apogée de sa science, dessinera aussi, en 1692, pour Montdauphin, des bastions à orillons. Le projet de 1608 prévoyait encore de renforcer le front de Grenoble en doublant les bastions Créqui (gendre de Lesdiguières) et Morges, préalablement surélevés, par un ouvrage bas, sorte de tenaille appelé le Bas-Fort, dont on signale l’achèvement en cours en 1639. Il transférait l’entrée principale du front de Savoie au flanc du bastion du roy, vers Barraux. Jean de Beins proposa aussi de remplacer la petite demi-lune qui couvrait l’entrée primitive par un ouvrage à cornes. Ce dernier, jugé mal adapté au plateau triangulaire qu’il devait couvrir, sera remplacé par une grande demi-lune (projet signé Camus, octobre 1639).
Un plan de Tassin, gravé sans doute vers 1650, (il exécute à ce moment un plan de Montmélian) nous fournit un bilan des transformations, malgré des inexactitudes, notamment l’oubli du Bas-Fort et de la lunette de Savoie. La physionomie de la citadelle ne sera guère modifiée jusque vers 1688. Le plan en relief du musée des Invalides, qui représente des rectifications et des ouvrages qui ne seront imaginés ou exécutés qu’au XVIIIe siècle, ne paraît pas justifier la date de 1674 qui lui est attribuée.
En 1639 apparaissent dans un plan signé Langrune, ingénieur en chef de la place de Grenoble, des nouveautés intéressantes. Sur le front de l’Isère, il propose d’améliorer la défense par la création de flancs aux bastions Morges et Dauphins, désormais appelés par leurs numéros 4 et 6. Il prévoit du même côté des ouvrages avancés pentagonaux, tout en redonnant au bastion Lesdiguières (numéro 5) des flancs rectilignes. Il suggère de placer l’entrée au centre de la courtine du front de Barraux et d’en détacher le bastion Rosny, qui deviendrait ainsi une demi-lune couverte à son tour par une lunette. Le chemin couvert est régularisé et soigneusement « traversé », c’est-à-dire coupé de parapets de terre évitant les enfilades. On retrouve là avec précision les préoccupations constantes de Vauban, et sans doute ce dernier n’était-il pas étranger aux améliorations apportées. Du reste il allait bientôt venir lui même au Fort Barraux.
L’inspection de Vauban en 1692 : (photo plan 1692)
La guerre de la Ligue d’Augsbourg entraîna de nouvelles opérations entre Français et Savoyards. Dans l’été 1692, Victor-Amédée de Savoie, descendu par le col de Vars, ravagea l’Embrunnais et le Gapençais, allant jusqu’à faire peser une menace sur Grenoble. Louis XIV envoya Vauban dans le Sud-Est pour établir d’urgence un programme de fortification. Arrivé à Grenoble le 22 septembre, celui-ci inspecta Fort Barraux et rédigea quinze jours plus tard, en Briançonnais, un mémoire daté du 7 octobre 1692.
Plan de 1692
La première partie du mémoire est un inventaire des défauts du fort : « Nous l’avons conservé avec toutes ses imperfections, et ce n’est que depuis quatre ou cinq ans qu’on a eu quelqu’attention un peu considérable pour lui. Ces défauts consistent premièrement en la figure très défectueuse et qui pourrait être incomparablement meilleure si ceux qui en réglèrent le projet eussent su ce qu’ils désiraient. » Et le commissaire aux fortifications de déplorer que la place ne commande pas un pont «ce qui fait que moitié de cette vallée demeure à la discrétion de l’ennemi » : Le fort est trop petit, il n’a pas les bâtiments nécessaires et les principes de fortification y ont été mal appliqués ; le revêtement des pièces (bastions, demi-lune etc… est mauvais, les bastions inclinent vers l’extérieur et donnent prise aux enfilades ; les fossés sont insuffisants. « Au demeurant l’endroit est bien choisi ; la disposition du terrain rend la circonvallation impossible tant elle devrait être étendue. »
Selon une idée ancrée en lui par l’expérience, Vauban préconisait la création d’un camp retranché protégé par des ouvrages bordant le ravin du Furet entre le fort et les abrupts de la Chartreuse. « Une garde d’infanterie sur le haut des montagnes, au milieu, et quelqu’autre de cavalerie sur les petites hauteurs de la droite, et cela bien retranché et garni d’artillerie et protégé de la place. Il n’y a point d’armée qui pût les déloger de là. »
Le mémoire était accompagné d’un « état de ce qu’il faut faire », toujours daté du 7 octobre. On y constate l’aptitude de Vauban à veiller aux plus petits détails après s’être élevé aux grandes vues générales. Il règle les modifications à apporter aux bastions, fossés, chemins couverts et autres pièces : il fixe le nombre et l’emplacement des bâtiments, précise de faire trois latrines de bois et indique l’agencement à donner au puits pour le mieux protéger et rendre plus pratique. « N° 13 : accommoder le puits et lui faire un couvert voûté à l’épreuve de la bombe ; le rétrécir d’entrée, paver ses environs en glacis relevé posé en ciment, et mettre de grandes auges sous l’égout des seaux avec des barres de fer pour les poser dessus et de grandes roues et deux câbles. » Chaque article de ce devis faisait l’objet d’une estimation, dont le total s’élevait à 375.655 livres, ou, en se limitant aux ouvrages les plus pressés, à 34.794 livres. Comme toujours, Vauban se réservait le contrôle direct des travaux dans une dernière phrase. « Il (l’ingénieur) ne commencera aucun ouvrage contenu qu’il ne m’en ait envoyé les dessins pour voir s’ils sont conformes et y corriger ce qui aura besoin. ».
Quelques travaux furent réalisés suivant les consignes données par Vauban. On constate par exemple, en consultant les plans successifs, que vers 1698 le bastion 2 est transformé en demi-lune. Mais ce n’est qu’en 1700 qu’apparaît le pavillon d’entrée au milieu du front de Barraux. En 1703 il n’a toujours pas reçu sa couverture d’ardoise. Les deux pièces 13 et 14, destinées à donner des vues dans l’angle mort situé au pied du front de l’Isère, projetées dès 1689, sont construites en 1697-98. Diverses modifications secondaires interviennent encore ici ou là.
Second voyage de Vauban (1700) :
De retour en Dauphiné, Vauban se rendit à Fort Barraux et rédigea une “addition du 5 août 1700, jour et temps de ma visite”. Cet assez long mémoire indique la façon d’achever les travaux commencés, les mécanismes des portes, des ponts-levis, l’abaissement de la rampe d’entrée. Vauban ne manque pas de relever bien des imperfections. « Toutes les guérites de la place sont rompues… Il faut les refaire à neuf et à cinq pans, portées par un encorbellement de pierre de taille, le surplus de maçonnerie de brique ou de tuf et la toiture de bois avec un petit amortissement de plomb doré ou fer blanc au-dessus, terminé en fleur de lis… Le couvert du puit, tant recommandé, n’a pas été bien fait, la voûte est trop basse, le tour aussi et la roue trop élevée, le tambour, à l’entour duquel le câble doit dévider, trop court et trop petit… » Et à chaque fois Vauban indique les améliorations à apporter, par exemple aux souterrains, nombreux mais « encombrés et dont il n’y a pas un qui ne perce à la pluie par la voûte et par les côtés ». « Il faut, écrit-il, de toute nécessité, les tous découvrir pour les cimenter de nouveau et les entourer de murs de pierre sèche avec un canal dans le fond de la dite pierrée pour donner de l’écoulement à l’eau. » On mesure ici la compétence technique de Vauban, apte à tout régler dans l’édification d’une place, et pas seulement dans son dessin. On sait d’ailleurs qu’il avait rédigé de véritables brochures sur différents sujets pratiques, destinées à aider les ingénieurs dans l’exécution des travaux.
Résumant son mémoire, Vauban le réduit à trois points : achever la place, faire le retranchement entre le fort et la montagne et bâtir un pont sur l’Isère, couvert par deux redoutes. Les documents du XVIIIe siècle vont nous montrer quel fut le sort de ces projets.
Les travaux du XVIIIe siècle :
Pour cette époque, la plupart des « états des ouvrages que le Roy veut et ordonne être faits au Fort Barraux pendant l’année X » sont conservés, souvent accompagnés de plans magnifiques, de profils, de coupes et autre dessins explicatifs. Il est facile de constater que les crédits sont parcimonieux et le simple entretien difficilement assuré. La mention « d’escorchement » du revêtement se répète d’année en année, accompagnée de la constatation de l’aggravation des dégâts et de l’élévation du devis de réparation. Les travaux prescrits par Vauban n’étaient eux-mêmes exécutés que lentement et partiellement. Deux mémoires de 1717 et 1718, fort complets, établissaient entre autres ce qui restait à faire et l’on voit que c’est considérable. Il fallait encore approfondir les fossés , recouper l’arrière de la demi-lune 2 qui gênait le flanquement des bastions 1 et 3, rechaper des souterrains, aplanir la place d’armes, construire la plupart des bâtiments, faire le pont sur l’Isère, pour ne citer que les points essentiels.
Pourtant la guerre de succession d’Espagne avait montré l’intérêt du Fort Barraux : en 1708, Villars en avait fait sa base d’opération ; à partir de 1709, le fort entra comme point d’appui dans le dispositif défensif adopté par Berwick. Grâce à la savante préparation de ses « navettes », le maréchal, posté à Briançon put conduire rapidement ses troupes pour couper la route au duc de Savoie. En 1711, notamment, il fait établir un camp retranché en avant de Barraux, sans que Victor-Amédée osat forcer le passage. C’est précisément en 1708 que prit forme le vaste projet de couvrir chaque saillant du fort par un ouvrage avancé, soit au total sept lunettes. L’ensemble, « estant entouré d’un chemin couvert fera comme une base et nouvelle enceinte ». On réalisa aussitôt une des lunettes, cotée 34. On se proposait par là de surveiller les angles morts et d’éloigner les risques de sapes. Mais le reste de ce grand dessein fut reporté ; on retrouve périodiquement des plans le concernant. En 1751, un magnifique ensemble de plans et de profils complète ce projet d’un incroyable réseau de galeries souterraines, de contre-gardes et de glacis, montrant du même coup l’orientation des ingénieurs du XVIIIe siécle vers une géométrie volontiers systématique et quelque peu utopique. Les services de Versailles en furent-ils effrayés ? Toujours est-il que le plan pour servir aux projets de 1759 mentionne à propos de la lunette 34 : « lunette que l’on détruit, n’étant d’aucune utilité. » Ce fut son oraison funèbre. En fait, on se contenta de l’abandonner et ses traces sont encore visibles aujourd’hui. Un peu plus tard, on recoupa les orillons des bastions qui flanquaient le front de Savoie, en les remplaçant, selon une doctrine déjà ancienne, par des flancs perpendiculaires à la courtine.
On construisit également, durant le XVIIIe siécle, plusieurs bâtiment. Des logements furent élevés selon un projet de 1706, au-dessus des voûtes de la porte. Ils furent modifiés par un nouveau projet de 1762. Deux corps de casernes, régulièrement disposés, encadrèrent l’arsenal sur la partie gauche de la place d’arme, à la place d’une série de constructions vétustes et désordonnées. Enfin la chapelle, jusque là reléguée dans des locaux de fortune, fut construite à l’emplacement et suivant les grandes lignes du projet de Vauban.
A partir de 1792, Fort Barraux fut une base utile contre la Savoie ; mais les améliorations apportées à la place furent minimes. En 1791, on préparait l’expropriation de divers terrains pour y établir des ouvrages de campagne. En pluviôse an II, on achevait une redoute dite « du Mollard » en terre et à redans, couvrant le plateau en avant de la demi-lune 9. On y parvenait par un souterrain et elle avait pour mission de fournir, grâce à une casemate, des feux de revers contre les attaquants du fort. On reconnaît là les idées chères au général d’Arçon, qui réalisait des ouvrages analogues, mais plus puissants, à Briançon et à Mont-dauphin. Deux autres redoutes plus éloignées formaient des appuis avancés. L’une d’elle, la redoute du Niselet, sur les premières pentes de la Chartreuse, reprenait un emplacement déjà retenu par Vauban.
En dehors de quelques changements de noms (« caserne de l’uniformité », « pavillon de l’indivisibilité ») et de la transformation de l’ancienne chapelle en entrepôt à deux niveaux, le Fort Barraux ne fut pas modifié. Les crédits restaient très parcimonieux. Au projet d’ensemble envoyé au début de l’an VIII, le ministre répondit : « L’énormité de la dépense proposée par ce projet, le temps qu’exigerait pour leur confection les ouvrages à faire, leur importance et la maturité que réclame un tel projet ne permettent pas d’y avoir égard dans les circonstances actuelles. » Paris refusait même les crédits d’entretien, et la mention «ajourné» était parfois accompagnée d’un conseil tel que : «on doit faire ces sortes de réparations par des moyens rapides et militaires.»
On planta en l’an X cent quarante frênes et ormes à l’intérieur du fort. C’était une coutume utile à laquelle Vauban veillait particulièrement et qui permettrait en cas de siège de trouver rapidement le bois nécessaire pour palissader les chemins couverts. Ces arbres n’étaient sans doute pas encore assez grand lorsque la mise en défense du fort revint à l’ordre du jour. En 1814, puis en 1815, les troupes autrichiennes l’entourèrent mais sans chercher à le prendre, sachant que sa reddition interviendrait par le seul fait du cours général de la guerre.
Depuis plusieurs années déjà, le fort était devenu insuffisant. Aux défauts toujours signalés venait s’ajouter l’inadaptation à l’armement moderne. En 1793 déjà, un mémoire signale : «La place est tout au plus à l’abri d’un coup de main… Elle ne pourrait tenir vingt-quatre heures contre un siège bien disposé…». En vendémiaire an V, le fort Barraux était classé « place d’entrepôt de troisième ordre ». Le XIXe siècle devait y faire quelques transformations, notamment sur le front orienté vers Grenoble. Mais l’ensemble de la forteresse ne se modifiera plus, si ce n’est par une lente dégradation et quelques additions douteuses, comme un transformateur électrique au milieu de la demi-lune d’entrée. Elle a, bien entendu, perdu aujourd’hui toute ombre de valeur militaire.
L’enceinte :
L’exposé historique qui précède montre qu’à travers les siècles, le Fort Barraux a conservé les grandes lignes et bien des détails de son système défensif. Une visite doit nous permettre de préciser ce qu’il en est.
Si nous accomplissons le tour de l’enceinte, nous constatons que le front d’entrée est intact. Toutefois les ponts franchissant les fossés sont devenus des chaussées pleines par l’obturation de leurs arches. Mais les bastions ont conservé leurs orillons, les courtines leur cordon ; malheureusement, comme autrefois, de graves « escorchements » ouvrent des plaies béantes et grignotent les parements, tandis que des arbrisseaux disloquent librement la maçonnerie. Ici comme sur tout le reste de l’enceinte, il n’y a plus une seule échauguette : leur silhouette accidenterait pourtant de manière heureuse les austères horizontales de l’escarpe. La porte est parfaitement conservée, tout à fait comparable à celle de Montdauphin, de peu d’années antérieure. Un fronton triangulaire soutenu par deux pilastres détachés sur un appareil à refends domine un cadre en retrait, dans lequel, sous un tableau nu, s’ouvre l’arche de l’entrée, encore munie de ses puissants battants cloutés et bardés de fer. En arrière se profile le toit mansardé du pavillon de la porte, encadré de deux tourelles d’escalier dont la toiture conique a remplacé les bulbes initialement prévus.
Le front de Savoie n’a guère changé non plus : la grande demi-lune le protège toujours, elle-même couverte à sa pointe par les ruines d’une contre garde édifiée au XIXe siècle. Sur tout le parcours, le chemin couvert est bien tracé, épaulé d’une banquette et coupé de ses traverses. On peut seulement déplorer certaines réparations qui introduisent très fâcheusement des plaques de béton au milieu des assises régulières de l’appareil. Comme toujours, ces puissants volumes aux arêtes vives, ces larges surfaces grises soulignées par la verdure des parapets sont d’une grande richesse plastique ; l’austère beauté de ces parois où le jeu de l’intelligence mathématique combine lignes et plans est une réelle satisfaction pour l’esprit. Sur le front de l’Isère, les pièces 13 et 14, toujours en place se dégradent rapidement. C’est le côté tourné vers Grenoble, le plus vulnérable dès l’origine, qui a été le plus modifié à l’époque moderne sans que la silhouette générale du fort en soit altérée.
Les Bâtiments :
Le corps de place conserve aussi l’essentiel des bâtiments anciens. La porte débouche sur la place d’arme par un large vestibule voûté, ouvert de trois arches surbaissées, à refends : on reconnaît exactement l’élévation du projet de 1762. Il convient toutefois de remarquer, ici comme dans les autres constructions, la disparition des toitures d’ardoises souvent mentionnées au XVIIIe siècle ; un texte de l’an X en mentionne l’idée, jugée économique.
A peu près en face de l’entrée, se dresse la chapelle ; elle est extérieurement de la plus grande sobriété, mais de bonnes proportions. Un faîte en campanile de charpente coiffé d’un dôme en forme les lignes. L’intérieur est formé d’une courtine voûtée en plein cintre, d’un chœur voûté d’arêtes et d’une abside arrondie, peu profonde, ouverte sous un arc d’entrée surbaissée. L’ensemble est vide ; il est vrai qu’in y emmagasina des vivres sous la révolution et l’empire. L’autel a traversé ses temps difficiles : il est fort simple, en bois doré avec un tabernacle orné de colonnettes ioniques et encore muni de ses chandeliers. Dans l’angle est entreposé un confessionnal en bois, orné de têtes d’anges et terminé par quatre volutes portant une croix. Des teintures, réalisées par un prisonnier allemand en 1945, achèvent de s’effacer sans laisser de regrets. La charpente, par contre, est d’une belle facture.
Les bâtiments des casernes (17B, 17C) ainsi que l’arsenal qu’elles encadrent sont anciens, achevés de 1728 à 1759, mais n’offrent pas un intérêt architectural particulier. Les deux magasins à poudre sont aux emplacements primitifs, mais celui dû à Vauban (dans le bastion I) a été passablement remanié. A l’extrémité Sud-Ouest de la place d’armes se trouve le bâtiment du Gouvernement. C’est le plus ancien du fort : son implantation est déjà noté par J. de Beins en 1608. Très sobre, il ne manque pas de caractère, grâce surtout au grand développement du toit. Cet édifice servait de logement au lieutenant du roi, qui représentait le gouverneur, généralement non résidant. Il a changé à plusieurs reprises de destination depuis la révolution. L’entrée principale est surmontée d’une fenêtre cintrée sous un fronton, orné d’un balcon de fer forgé d’ailleurs mutilé. L’intérieur est dans le plus triste état ; on peut y voir pourtant quelques jolis détails, notamment une cheminée d’époque Louis XV surmontée d’un cadre de pierre sculptée.
Devant le gouvernement se situe le puits, objet de toutes les sollicitudes de Vauban. Il est abrité sous un toit pyramidal qui recouvre une voûte de briques sans doute récente. Bordé d’une margelle de dalles tressées, l’orifice, de 3 mètres de diamètre, est plus étroit que le puits, selon les ordres de Vauban. Une coupole s’arrondit sous le pavage, s’amplifiant jusqu’à la circonférence du puits. Sur 5 mètres de large et 38 de profondeur, ce dernier accumule un volume d’eau considérable, comme une sorte de citerne. Du reste, les responsables se sont toujours préoccupés de l’alimenter. Des sources captées y conduisaient l’eau. Un mémoire signale que les conduites furent rompues en 1705 par les travaux d’approfondissement des fossés. On dériva alors une partie de la source de la fontaine de Barraux et le puits se remplit à nouveau, « hors la fin des hivers que les gelées et neiges crèvent les bourneaux et tuyaux ». Il faut savoir que ces conduites étaient en bois. Leur remplacement fréquent posait à Fort Barraux des problèmes de fournitures, et faisait l’objet en 1747, de doléances sur les lenteurs administratives : « on ne sait à qui s’adresser ni dans qu’elle forme il en faut établir les demandes et le service en aurait souffert plusieurs fois si Messieurs les commandants de province n’avaient décidé d’autorité dans le besoin pressant. Messieurs les intendants renvoient à M. le contrôleur général, ce ministre renvoie aux Eaux et Forêts, et les employés des Eaux et Forêts n’ont aucune forme et ne décident que très difficilement. » Le style du XVIIIe siècle a toujours beaucoup de saveur dans sa franchise…
Quelques dates :
1663 – Le régiment de Fort-Barraux est l’une des rares unités à participer à la défense de Vienne en Autriche attaqué par 120 000 turcs.
1665 – Louis XIV envoya au Canada le régiment franco-savoyard commandé par le prince Thomas de Savoie-Carignan, alors en garnison à Fort-Barraux, pour lutter contre les iroquois qui menaçaient les 3 000 éclaireurs de la colonie française naissante. Vingt compagnies du régiment de Carignan Infanterie (lointain ancêtre à la fois de nos chasseurs alpins et des troupes coloniales) partirent de Barraux pour une farouche et parfois pittoresque guerre aux indiens. Près de la moitié de ces soldats restèrent au Canada volontairement avec leurs officiers où ils firent souche.
1693 – Des ingénieurs militaires partent du fort pour construire à Cuba et au Mexique des forts pour le compte de l’Espagne.
1749 – Un corps d’armée espagnol en guerre contre le royaume de Sardaigne, séjourne au fort d’où il malmène quelque peu la Savoie. De nombreux déserteurs sont fusillés dans les fossés.
1793 – Barnave, jeune avocat grenoblois y fut enfermé pendant quelques mois.
1814 – Les enfants de Barraux réussissent à approvisionner en munitions les soldats du fort attaqués par les autrichiens qui furent repoussés mais auxquels le fort fut tout de même livré en 1815.
Après la défaite de 1870, l’attitude de l’Italie conduit à la construction de 6 forts autour de Grenoble, dont ceux du Murier et du Saint Eynard. Au cours du XIXe siècle, les défenses du Fort-Barraux sont également reconsidérées et renforcées.
1917 – Le fort est transformé en camp d’officiers allemands prisonniers. Comme à Kolditz, 30 officiers s’évadent par un tunnel creusé sous les remparts ; parmi eux, un Von Bulow et un Von Bismark.
1937 – Le fort hébergea des réfugiés espagnols fuyant la guerre civile.
1941. Internés au Fort Barraux (coll.MRDI) |
Le 1er novembre 1940, quand le fort passe de la tutelle du ministère de la Guerre à celui de l’Intérieur, le commissaire spécial Wenger, premier chef civil du camp, veille alors sur 704 internés originaires des compagnies spéciales. Ils sont rejoints, jusqu’ à la fin de 1942, par des «indésirables politiques», soit principalement des membres du Parti communiste, et, à partir d’août 1941, par quelques “délinquants économiques” (trafiquants du marché noir). En août 1942, et notamment du 16 au 27, les Juifs étrangers, arrêtés dans la région, sont internés au Fort Barraux avant d’être dirigés vers Lyon, le 28, puis déportés à Auschwitz. Les décisions ministérielles des 31 octobre et 9 novembre 1942 modifient la destination du CSS du Fort Barraux qui se spécialise alors dans l’internement des “repris de justice et souteneurs”. |
En octobre 1943 François Risterucci, ancien chef du camp de Saint-Sulpice-la-Pointe, déplacé pour brutalités envers des détenus, est nommé à tête du camp de Fort Barraux. Simple gardien de camp (à Saint-Paul-d’Eyjeaux puis à Rivesaltes), ce trop zélé serviteur du gouvernement de Vichy sera le dernier collaborateur exécuté en Isère, le 29 décembre 1946 |
François Risterucci entouré des gardiens du camp, Fort Barraux, 1943 |
François Risterucci, Fort Barraux, 1943 |
Le 22 juin 1944, les Allemands déporteront les 400 internés qui se trouvent encore au Fort Barraux |
La période 1944 / 1948 – le PGA 144 :
Pendant les hostilités, en fin 1944 et début 1945, le Fort-Barraux sert de dépôt pour prisonniers de guerre allemands (P.G.A). Il s’agissait uniquement d’assurer la garde des militaires allemands capturés au cours des combats dans les Alpes.
A partir de fin 1945 et en 1946, l’effectif du dépôt de P.G.A. a été considérablement augmenté par les nombreux soldats allemands faits prisonniers au cours des combats de la fin de la guerre ou ramassés en Allemagne même par les troupes américaines après la capitulation allemande. Le dépôt de Savoie a été constitué à l’origine à Aix-les-Bains et il a été transporté ensuite à Fort-Barraux avec des annexes à Chambéry, Alberville et Moûtiers.
Il devient une réserve de main-d’œuvre et dépend du ministère du travail. Les prisonniers sont répartis en commandos de travail d’après les ordres du directeur départemental de la main-d’œuvre et conformément aux priorités établies en fonction des besoins (mines, barrages, industries électrochimiques, routes, exploitations forestières, agriculture, etc…). L’administration du dépôt des prisonniers de guerres et la garde des prisonniers est assurée par des militaires mis provisoirement à la disposition du ministère du travail. Les employeurs des prisonniers de guerre sont tenus de nourrir et de vêtir les hommes mis à leur disposition et doivent verser en outre une indemnité journalière au ministère du travail..
En Savoie, le nombre de ces prisonniers a été très variable suivant les époques et l’évolution des besoins. On peut évaluer l’effectif en Savoie de 4 000 à 8 000 hommes. Il est honnête de rappeler l’importance de la contribution apportée par cette excellente main-d’œuvre au relèvement de la France au lendemain de la guerre. Un simple exemple : au printemps de 1946, le dépôt du département de l’Ain entretenait un effectif permanent de 800 hommes à Génissiat. Ce commando a contribué puissamment à la construction du barrage. C’est dans l’automne 1948 que les derniers prisonniers ont été libérés et regagné leur domicile. La grande majorité de ces anciens P.G. ont cherché a oublier leur captivité et ont rompu tous contact avec ce qui pouvait leur rappeler cette période de leur vie. Les anciens du dépôt de Savoie font exception à cette règle. D’ailleurs certains prisonniers sont restés en France pour diverses raisons et ont pris souche, jouissant de l’estime générale de leurs employeurs, de leurs collègues ou voisins. L’un d’entre eux, Hans Wilhem, le dernier chef de camp du dépôt a créé une amicale des anciens prisonniers de guerre de Fort-Barraux et tissé des liens avec les anciens gardiens et cadres français. Ce précurseur du rapprochement franco-allemand a ainsi contribué à l’entente et à la réconciliation entre les deux peuples.
Pour l’anecdote, les fresques existantes dans la chapelle du fort sont dues à monsieur Haas, élève de l’école d’architecture de Plochau de Munich, ancien prisonnier.
1947 à 1985 – Le fort Barraux devient un dépôt de munitions régional de la VIIIème région militaire (1962), puis de la Vème région militaire en 1966. Il est désactivé en 1986, ses deux derniers chefs de dépôt furent l’adjudant-chef Valos et l’adjudant-chef Palasse…
à partir de 1987 – les JET (Jeunes en équipes de travail)
Il n’était plus utilisé et probablement voué à un sort obscur, lorsque l’Association J.E.T. s’y installa fin 1987. Racheté par la commune de Barraux, dégagé, débroussaillé, et partiellement remis en état au cours des stages successifs, Fort-Barraux peut accueillir 25 stagiaires de 18 à 24 ans et les sept militaires de différents grades qui les encadrent.
Fondée en 1986 à l’instigation des ministres de la Défense et de la Justice par l’amiral Brac de la Perrière, l’association “Jeunes en Equipe de Travail” (J.E.T.) se propose de donner une deuxième chance à des jeunes délinquants condamnés à de petites peines en leur offrant une alternative à la prison : des séjours de 3 à 4 mois dans l’un des 3 centres J.E.T. les préparent soit au service national. soit à des stages de formation, soit à une entrée dans la vie active Tous les deux mois environ 70 à 80 jeunes sont ainsi sélectionnés sur tout le territoire national, en accord avec l’Association, par les juges de l’application des peines pour participer aux “stages J.E.T.”.
A Fort-Barraux, les 2 premiers mois de stage sont consacrés à des travaux en atelier, à la remise en état du Fort ou à des travaux variés au profit des municipalités voisines et laissent une part importante au sport et à la formation générale (y compris le permis de conduire pour ceux qui en ont l’aptitude). Le dernier mois est consacré à un chantier autonome loin du Fort.
Toutes les activités sont obligatoires et ces journées bien remplies visent à donner aux stagiaires le sens de l’effort, le goût du travail bien fait, l’aptitude à la vie en équipe et le sens de la responsabilité qui leur seront nécessaires dans leur réinsertion sociale et professionnelle. En échange de leurs efforts pour suivre le rythme et parvenir à la fin du stage les stagiaires bénéficient normalement à la sortie de quelques mois de libération conditionnelle.
Ceci suppose, outre un hébergement, un emploi ou mieux un stage rémunéré de formation professionnelle. En liaison avec les divers organismes de réinsertion tels que l’A.F.P.A. ou les Missions locales, les membres de l’association et les cadres militaires effectuent les démarches nécessaires et, à ce jour, aucun stagiaire n’est retourné en prison faute de moyens d’existence en fin de stage. Au reste J.E.T. n’abandonne jamais ses anciens stagiaires (plus de 1100 en 3 ans et demi), qui peuvent toujours l’appeler à l’aide. Cette action, dont il serait illusoire et sans doute trompeur de tirer un bilan chiffré, n’est possible que grâce au soutien de la Défense. En effet, détachés de leur unité à Fort-Barraux, des officiers, des sous-officiers et quelques militaires du contingent, volontaires, acceptent de donner 3 mois de leur vie pour encadrer des jeunes, égarés dans la délinquance, en partageant toutes leurs activités quotidiennes 24 heures sur 24 : une expérience enrichissante aussi bien d’un point de vue. Leur dévouement et leur disponibilité au service d’une mission difficile mais exaltante “Sauver de la délinquance des enfants qui sont, eux aussi, l’avenir de notre pays”.
Conclusion :
Le Fort Barraux tire une partie de sa beauté du cadre dans lequel il est placé. Au pied du grand abrupt de la Chartreuse dont la falaise dépasse 1800 mètres, il borde une terrasse ouverte au midi, magnifique belvédère devant lequel se déroule la large plaine du Grésivaudan ; au-dessus de ce paysage bocager, tout piqueté de villages, se dresse la chaîne de Belledonne, dont les cimes, trouant le manteau forestier des premières pentes, frôlent les 3000 mètres. On ne peut que souhaiter aux bâtiments de la citadelle de trouver un usage permettant leur remise en état et le libre accès du public qui trouverait là, grâce à quelques commentaires judicieux, une belle occasion de tourisme intelligent.
Les places du XVIIe siècle, sans êtres rares, sont peu nombreuses. Celles qui remontent à la fin du XVIe sont beaucoup moins courantes encore. Le Fort Barraux est l’une d’elles. Son état actuel permet facilement, à l’aide des plans et devis anciens, de reconnaître les dispositions primitives et les transformations successives. Et nous sommes conduits à constater que le système classique de défense est fixé dans ses grandes lignes dès le règne de Henri IV. Le dessin des pièces de fortification variera selon les théories particulières, mais aucune invention ne viendra bouleverser les données établies.
Comme tout l’art militaire, le domaine des fortifications relève du bon sens et de l’expérience. Vauban pousse au génie ces deux qualités. Ni en 1692, ni en 1700, le grand ingénieur ne vient avec une solution miracle ou un système abstrait. Mais en s’appuyant sur de longues observations et un incomparable sens du terrain, sur un raisonnement d’une impeccable logique, il indique des corrections précises. Pour lui, il n’y a point de détail inutile : il sait que l’état des souterrains ou la profondeur d’un fossé compteront autant dans le combat que le tracé général de l’enceinte ; il rappelle qu’une voûte insuffisante au-dessus du puits peut permettre sa ruine par l’artillerie adverse et entraîner la perte de toute la place. On le voit enfin penser toujours aux hommes, à leur condition de vie, non seulement parce qu’il sait bien que la valeur d’une place est fonction de celle de ses défenseurs, mais par une bonté naturelle qui transparaît vite.
Ce n’est pas un des moindres intérêts du dépouillement des archives de Fort Barraux que d’y rencontrer le style simple, clair, souvent teinté d’humour, de cet homme attachant qu’est Vauban, passionnément voué au service du roi, c’est-à-dire de la France.
Jadis voué à la guerre et à son cortège de misère, ce Fort a traversé les siècles et les tourmentes de l’histoire, il demeure majestueux et défiant le temps.