L’accès à la pyropuissance
Les conditions de préparation de la poudre, pas plus que sa composition n’ont pas varié depuis les origines du mélange solide, et c’est toujours autour de la formule traditionnelle des alchimistes : AS, AS, SIX, c’est-à-dire de 60% à 75% de salpêtre, de 10 à 20% de soufre, et de 12% à 20% de charbon que s’est tenu le dosage, et qu’il se tient encore.
Pour l’art de la guerre comme pour l’art des mines, il s’agit de faire un mélange, le plus homogène possible de ces trois constituants, et cette opération apparemment très simple, est en fait terriblement gênée par l’affinité réciproque de l’oxydant d’une part et des réducteurs d’autre part, qui se sensibilisent mutuellement, conférant au mélange intime ses propriétés explosives, et notamment une grande sensibilité aux contraintes mécaniques (chocs ou frottements), qui est l’une des caractéristiques remarquables de la poudre noire.
A l’origine, les trois constituants de la poudre étaient placés dans des mortiers de bois (du bois de hêtre, dit-on) et additionnés d’un peu d’eau puis triturés à l’aide de pilons de même matière ou de bronze. Par le choix de ces matériaux, on éliminait une partie des risques d’amorçage intempestif sous l’effet des chocs des pilons. Cette manière de procéder reste dans l’esprit des préoccupations de sécurité actuelles pour la fabrication de nos poudres noires, et elle a été notamment employée par les mineurs, qui fabriquaient ainsi sur place la poudre nécessaire à leur exploitation. Comme elle n’exigeait que le développement d’une faible force motrice, les installations étaient de faible importance et pouvaient être aménagées sans grand frais à proximité de l’exploitation. En outre, ils y trouvaient l’avantage non négligeable de n’avoir ni à transporter, ni à stocker la poudre, opérations présentant toujours des risques non négligeables.
Alimentées en force motrice par l’eau des ruisseaux, ces installations portaient le nom de MOULINS, nom qu’on retrouve partout où l’homme utilise la force de l’eau pour mouvoir ses machines, par exemple dans l’industrie Stéphanoise de l’Arme. On trouvait un MOULIN A POUDRE à AUGSBOURG en 1340, ce qui confirme le rôle déjà signalé des Allemands dans le développement de la poudre en occident.
On modifia assez vite semble-t-il la technique de la préparation en vue de substituer l’écrasement des constituants à la trituration par choc dans des mortiers, tant pour accroître le rendement des installations que pour supprimer un facteur important d’explosions accidentelles. Dans ce but on installa des meules de pierre roulant sur piste horizontale, à la manière des moulins à huile traditionnels en Provence. Ultérieurement la fonte remplaça la pierre dont les écailles tombant sur la piste de roulement provoquaient ou risquaient de provoquer des explosions par suite d’un accroissement de sensibilité dû à la présence de ces débris minéraux.
A ce stade, la fabrication de la poudre était arrivée à un niveau technique très voisin de celui qui est encore en usage de nos jours : ce sont toujours des meules verticales en fonte qui assurent le mélange intime des constituants de base et ce sont toujours les mêmes préoccupations de sécurité qui inspirent la conduite et la surveillance de ces machines.
Revenons un instant sur les origines en Europe pour signaler qu’on est souvent convenu d’attribuer l’invention (ou la découverte) de la poudre à BERCHTOLD SCHWARTZ moine franciscain de GOSLAR dans la région de BRUNSWICK en 1320, dit BARTEL le NOIR, faisant profession d’alchimiste. Cette paternité serait assez en harmonie avec le rôle attribué aux Allemands, rôle sur lequel on a déjà insisté et que ne dément non plus pas une autre tradition qui attribue cette paternité au moine CONSTANTIN ANGLITZ du HOLSTEIN.
D’après cette tradition ce moine, alchimiste lui aussi, aurait découvert les propriétés de la poudre en malaxant dans un mortier du soufre, du charbon et du salpêtre, opération pendant laquelle le mélange aurait explosé en projetant au sol le malheureux alchimiste sans cependant le blesser grièvement puisque revenu à lui, il aurait en quelque sorte renouvelé à sa manière “l’eureka” d’ARCHIMÈDE, en prenant tout de suite conscience du parti qui pouvait être tiré de sa découverte fortuite en matière de balistique.
On attribue aussi la découverte au moine Anglais Roger BACON qui l’aurait mentionnée dans un ouvrage antérieur à la naissance de SCHWARTZ.
Un élément déterminant dans cette longue histoire a été le rôle du salpêtre, et quelques commentaires le concernant méritent d’être rapportés ici. Le salpêtre, le nitrate de potassium ou NITRE s’engendre partout où des matières organiques végétales ou animales subissent une décomposition, en présence d’une terre calcaire humide contenant de la potasse, à une température supérieure à 15°. Il se forme aussi dans certains terrains des pays chauds après la saison des pluies ; en INDOUSTAN par exemple, il est abondant et dans bien des pays on a exploité des gisements naturels de salpêtre ; tel est le cas de la HONGRIE, de l’EGYPTE, ou de l’ESPAGNE. Sa formation aux endroits où des matières organiques riches en produits azotés, subissent une décomposition nous semble sans mystère, mais son apparition sur les murs des celliers, caves, écuries, étables et autres lieux où il se constitue naturellement sous forme d’efflorescences présentait autrefois un aspect un peu mystérieux malgré la liaison qu’on n’avait pas manqué de faire dès l’origine, entre cette apparition et la présence dans le voisinage immédiat de matières organiques en fermentation, notamment des matières ammoniacales. Son rôle comme constituant de base de la poudre, avec tout le prestige qui s’attachait à la possession de ce produit lui conférait un caractère exceptionnel que les privilèges attachés à la commission des SALPETRIERS pour la “recherche”, “l’amas”, et la “fabrication” du salpêtre aux fins de livraison dans les ARSENAUX accroissait encore. Son raffinage et la fabrication des poudres étaient assurés soit par des officiers d’artillerie soit par des entrepreneurs dits FAISEURS et COMPOSITEURS de POUDRE. C’est que tout ce qui concernait la poudre était alors soumis au pouvoir royal, qui d’ailleurs eu fort à faire en de multiples circonstances pour assurer le respect de son droit et garantir convenablement l’indépendance nationale au regard de l’approvisionnement en salpêtre. C’est à travers beaucoup de vicissitudes de toutes sortes que le régime de l’approvisionnement français s’engagea dans la voie où il est encore aujourd’hui, celle d’un service public, avec la constitution d’une régie des poudres et salpêtre, en 1775. LAVOISIER en fut l’un des animateurs après avoir été le premier à expliquer le rôle du salpêtre dans les compositions de l’espèce.
Cette poudre noire qui a une origine si obscure en fin de compte, et dont l’importance fut capitale pour les guerre des hommes, c’est-à-dire pour l’évolution de notre civilisation, allait conserver un monopole de fait jusqu’à la seconde moitié du XlXème siècle, moment où les découvertes de la chimie permirent de préparer des composés renfermant dans leurs molécules les éléments oxydants et réducteurs prêts à s’associer sous cette forme brutale qu’est l’explosion. Les étapes de l’évolution dans cette dernière phase ont été nombreuses mais brèves.
Citons en quelques unes parmi les principales : nitrocellulose (1832 et 1865), nitroglycérine (1846 et 1867), acide picrique (1885), fulminate de mercure (1860 et 1867), gélatinisation de la nitrocellulose…
Mais la “poudre” n’a pas abdiqué ; non seulement elle a encore ses emplois comme explosif, mais c’est elle qui est l’ancêtre pourrait-on dire de toutes compositions dites “pyrotechniques”, que celles-ci soient destinées au plaisir des yeux comme les feux d’artifice, ou à des usages moins frivoles et parfois de la plus haute importance, comme les feux de signalisation de sauvetage, les traceurs des missiles et toutes les autres formes de signaux lumineux ou fumigènes, sans compter les dispositifs pyrotechniques du type paragrêle.