I – LE VILLAGE D’ORS
Encadré dans le bocage de ses prairies, le village d’Ors est blotti au bord de la Sambre, à la limite du Cambrésis et du Hainaut.
Située à 80 km de Lille, 30 km de Cambrai et 8 km de Le Cateau, la commune est traversée par la Sambre, une rivière qui va se jeter dans la Meuse à Namur. En 1837 fut creusé le canal de la Sambre à l’Oise pour relier le bassin de la Seine à celui de la Meuse.
Le sol argileux est formé d’un mètre de terre à brique reposant sur un sous-sol de dièves imperméables. Ce qui explique une humidité constante, favorable au pâturage.
Le village d’Ors est très ancien, puisqu’il apparaît dans les textes dès 685. Au cours de l’histoire, le nom d’Ors n’a guère subi de variante : ORCETUM en 1033, ORCETO en 1046, ORCEUM en 1133 et ORS de nouveau vers 1164.
D’après les étymologistes, Orcetum ne parait être qu’une latinisation du mot Ors, qui probablement est un mot contracté. Dans les noms de lieux germaniques, Ors a été dit pour Oster, Orient, Orsmael, autrefois Oster-mael signifiant la borne, la limite de l’Est.
ORS a toujours été en première ligne pour les invasions barbares et en 1255, Nicolas de Fontaine, seigneur évêque de Cambrai, y fit construire un château fort au bord de la Sambre : le château de la Malmaison. Les paysans l’appelaient la maison du malheur car il causa de nombreuses luttes et batailles pour s’en emparer. Cette forteresse était la défense du Cambrésis du côté du Hainaut.
Placé sous la surveillance des religieux, il fut détruit en 1429 sur autorisation du pape Martin V. On appelle aujourd’hui Donjon la partie du territoire d’Ors sur laquelle s’élevait ce château.
En 1046, l ‘église d’Ors était l’église mère de Catillon, de La Groise et de Bazuel. L’évêque la donna à l’abbaye de St André du Cateau et les moines bénédictins mirent en valeur le pays en défrichant la forêt. Le village d’Ors adopta les armoiries du chef de l’église de Cambrai et la patronne de la paroisse est Notre Dame d’Assomption.
La “Franche ville d’Ors”, si on en croit quelques notes puisées dans les archives, a compté jusqu’à 16.000 habitants…
A l’origine, Ors dépendait de la châtellenie de Le Cateau et était gouvernée par les châtelains de cette ville. Le 2 mai 1733, les affaires administratives furent confiées à un “mayeur” et à sept échevins nommés par l’évêque. En 1790, l ‘administration communale subit quelques modifications pour aboutir à ce qui existe encore aujourd’hui.
La gare d’Ors fut ouverte au service des voyageurs en 1884, comme le bureau de poste, qui fut inauguré le 1er octobre 1884. Quant au télégraphe, il a commencé à fonctionner le 25 mai 1904 et le téléphone fut mis en service le 1er juin 1914…
La commune d’Ors couvre une superficie de 1742 ha dont 730 ha pour le seul Bois l’Evêque.
II – LE BOIS L’ÉVÊQUE
2.1 – L’ENVIRONNEMENT :
En 685, l ‘église de Cambrai-Arras avait reçu un immense territoire boisé qui comprenait l’église d’Ors. L’évêque fonda en 1030 l ‘abbaye bénédictine de Saint-André du Cateau, et lui donna l’église d’Ors qui devint l’église-mère de Bazuel et de Catillon.
En 983, Othon III (980-1002) empereur d’Allemagne, fit don à Rothard (977-995) évêque de Cambrai, d’une forêt située sur les bords de la Sambre qui prit tout naturellement le nom de Bois l’Evêque.
Une partie de cette forêt est située sur le territoire d’Ors, que l’on appelle le Grand Bois l’Evêque, le Petit Bois l’Evêque était sur le territoire de La Groise et a été défriché.
Le dépôt de munitions ( 187 ha ) est implanté dans la zone dite du “Grand Bois l’Evêque”.
Le territoire de la commune d’Ors s’étend sur une longueur de 5,6 km du Nord au Sud et sur une largeur de 4,8 km d’Ouest en Est pour une superficie totale de 1742 ha .
Situé au nord-ouest, à l’entrée du village du Pommereuil, le Grand Bois l’Evêque occupe 730 ha , soit 40% de la superficie communale.
Dans les temps très anciens, des hommes y vivaient, la pierre plate du Flaquet-Briffaut en témoigne. Le Flaquet, un étang de 2 ha , servait de réserve à poissons et donne naissance au Rio du Cambrésis. Pendant les grandes invasions barbares et les guerres, les ancêtres d’Ors et du Pommereuil sauvèrent souvent leur vie en se réfugiant dans les ronciers inextricables du Grand Bois, dont ils connaissaient tous les recoins.
Le Grand Bois l’Evêque est un magnifique bois de feuillus. Il ne possède aucun conifère naturel. Ses sentiers, hospitaliers et charmants, sentent bon la noisette, la mousse fraîche et le terreau de feuilles.
Les sous-bois de feuillus possèdent une multitude de plantes à fleurs, de fougères et de mousses alors que les sous-bois de sapins sont des déserts où rien ne pousse.
Avant 1914, les chênes centenaires n’étaient pas rares dans le bois et étaient appréciés pour la réalisation des portails, des roues de chariot, du charronnage, des charpentes, des parquets, des planchers et aussi des bois de mine et des traverses de chemin de fer .
Parmi les essences naturelles, avec le chêne du Bois l’Évêque réputé pour sa dureté, on trouve du hêtre, du frêne, du charme, du merisier, de l’érable, du bouleau et de l’aulne.
Le frêne était utilisé en charronnage et pour les manches d’outils, le merisier pour les armoires, le poirier pour les rabots et les règles à dessin, l’aulne pour les moulages de fonderies, le bouleau pour les sabots, le hêtre pour la galocherie et les meubles. .
Au printemps, les saules marsault font de loin de nombreuses taches jaunes, les merisiers et les pruniers se parent de blanc ainsi que les prunelliers, tandis que des milliers d’anémones blanches bientôt suivies de jacinthes bleues tapissent les sous-bois.
Plus tard, d’innombrables massifs de genêts s’éclairent en jaune d’or un peu partout. Dans les sentiers éclairés, des lychnis des bois rose-carmin animent avec bonheur les paisibles promenades du Grand Bois. Enfin, les framboises et les fraises des bois, les cerises des merisiers et les prunes sauvages, les ronces des fourrés offrent en automne, des chapelets de grosses mûres noires et sucrées tout le long des sentiers.
2.2 – LA CHAPELLE DE L’ERMITAGE (ou chapelle du bois)
Située à 200 m de la route de le Cateau à Landrecies et de l’ancien café de l’Ermitage (cf.cartes postales anciennes supra), au cœur du Bois l’Evêque, cette chapelle existe depuis très longtemps. Elle a été construite près d’une fontaine (décrite plus loin) qui était vénérée des gaulois et réputée dans toute la région pour guérir certaines maladies, comme les écrouelles (sorte de scrofules).
La chapelle est dédiée à Notre-Dame de Bon Secours. Réalisée en briques et en grès, elle possède deux pierres calcaires blanchâtres très anciennes représentant chacune un personnage. Ces deux statues sont situées de part et d’autre de l’entrée à 2 m du sol.
L’intérieur de la chapelle était plafonné et plâtré. A l’époque, elle possédait une estrade avec un autel en bois au-dessus duquel s’élevaient trois gradins en bois munis d’un fond avec au milieu, le tabernacle. Ce dernier était surmonté d’un caisson sur lequel reposait la statue en bois sculpté de Notre-Dame de Bon Secours tenant l’enfant Jésus dans ses bras.
Sur les murs extérieurs latéraux étaient accrochés pour la cérémonie du 15 août, de grands chandeliers rectangulaires en fer, hérissés de nombreuses pointes sur lesquelles Adolphine Chandelier plaçait des cierges qu’elle vendait aux pèlerins. Ceux-ci passaient parfois la nuit du 14 août à prier pour leurs malades et leurs infirmes. Ils leur posaient des compresses d’eau pour hâter leur guérison.
Les chandelles éclairaient la chapelle toute la nuit du 14 août jusqu’au lendemain. Pour permettre aux pèlerins de communier, la première messe au bois avait lieu à 5 heures 30, suivie d’une messe basse à 8 heures à l’église d’Ors et d’une grand-messe chantée à la chapelle à 9 heures 30.
Aujourd’hui encore, chaque année au 15 août, un office religieux est célébré dans la chapelle du bois. La veille, les personnels du dépôt passaient pour nettoyer le site avant la cérémonie et y déposer des sièges pour les pèlerins.
2.3 – LA FONTAINE :
Derrière la chapelle jaillit une fontaine qui se jette dans le ruisseau de l’Ermitage.
2.4 – LE MONASTERE :
Au sud-ouest de la chapelle, on peut apercevoir encore les vestiges d’un ancien monastère, celui de l’Ermitage qui appartenait à des récollets anglais. Ces religieux y tenaient école qui avait bonne réputation. Elle était fréquentée par un certain nombre d’enfants des meilleures familles de la région. En 1789, les moines abandonnèrent le monastère à la veille de la révolution française qui provoqua la destruction de l’édifice…
2.5 – LA FETE DU 15 AOÛT :
La ducasse d’Ors avait lieu le jour de la fête du 15 août. La matinée était essentiellement religieuse avec le pèlerinage à la chapelle du bois et la seconde partie de journée était consacrée à toutes les attractions de la ducasse, après le retour de la messe du bois.
2.6 -LE GRAND CIMETIERE DU BOIS L’EVEQUE :
Situé sur un lieu de passage, le Bois l’Evêque a subi de nombreuses invasions et a été la tombe de combattants de toutes nationalités…
LE PONT BRULE
Après la victoire de Wattignies par le général Jourdan, le 16 octobre 1793, les Autrichiens avaient dû lever le siège de Maubeuge et furent harcelés pendant tout l’hiver par les troupes du général Fromentin qui put ainsi empêcher l’encerclement de Landrecies.
Les Autrichiens du général Cobourg avaient construit de nombreuses redoutes: une au chemin des Boeufs, une autre entre le Flaquet et Fontaine au Bois et une autre encore au Pommereuil. La nuit, les patriotes des communes d’Ors, de Bazuel, du Pommereuil et de Catillon s’unissaient pour aller ensemble, attaquer par surprise les troupes d’élite des avant-postes ennemis. Ce harcèlement dura des mois et exaspérait le général Cobourg.
Les Autrichiens tenaient Ors, Catillon et toute la rive gauche de la Sambre. Le 29 mars 1794 le général Fromentin, sous les ordres de Pichegru, prit Catillon. Le 1er Bataillon de Saint Denis chargea avec furie les six pièces de canon qui défendaient le pont qu’il franchit.
Le général Fromentin passa avec ses troupes par le chemin du Gard et se heurta aux redoutes du chemin des Boeufs et du Planty .Pendant ce temps le général Soland se dirigeait par la Rue Verte vers Ors où s’étaient retranchés les Autrichiens. L’ennemi défendait le pont avec acharnement mais bombardé par l’artillerie et cerné par trois colonnes françaises, il se réfugia dans le bois.
Le pont d’Ors était repris mais brûla comme il était en bois, tout comme le clocher qui fut incendié à son tour.
En s’attaquant aux redoutes du Bois l’Evêque, les Français furent assaillis par surprise par la réserve autrichienne et par deux détachements de Uhlans, ce qui provoqua la panique de nos artilleurs qui s’enfuirent vers Guise, entraînant un bon nombre des nouvelles recrues réquisitionnées du 10ème bataillon de Paris.
Les généraux Fromentin et Soland eurent beaucoup de mal à rétablir la situation et nos troupes bivouaquèrent “contre” La Groise et Catillon. Le capitaine Charles Boyé, commandant le 1er escadron du 4ème Hussards, fut lui aussi surpris en attaquant une redoute située au delà de la route qui conduit de Landrecies au Cateau. Il fut pris sur son flanc par un régiment tout entier, le Royal-Allemand qui était dissimulé dans une tranchée; le capitaine Boyé reprit à toute allure le chemin qu’il avait emprunté à l’aller par les sentiers du Bois l’Evêque et arriva au chemin de Landrecies au Cateau. Mais postée à sa gauche, l’infanterie ennemie lui barrait la route. C’est alors que le Capitaine Boyé et ses 80 cavaliers chargèrent sabre “au clair”, en peloton serré à travers la masse compacte de l’infanterie ennemie décontenancée par tant de détermination et de bravoure …! De l’héroïque escadron, 48 hommes en revinrent et rejoignirent leur régiment. Le capitaine Boyé avait eu son cheval tué sous lui… Peu de jours après, il fut élevé au grade de général de brigade …!
Le lendemain 30 mars, les combats reprirent avec le 4ème Hussards et le 10ème de Paris qui vengèrent leur échec de la veille. I1s gardèrent Ors et Catillon définitivement. Les paysans du Pommereuil et d’Ors enterrèrent 800 morts dans le Grand Bois l’Evêque entre l’Effilitage et Happegarbes… !
En 1792, les biens du clergé furent vendus ou confisqués par l’Etat qui s’empara du Bois l’Evêque, au grand dam de la commune d’Ors, qui aurait eu bien besoin des bénéfices procurés par les ventes des coupes d’exploitation pour arrondir son maigre budget et aider ses indigents. A peine les vieux pouvaient-ils ramasser du bois mort pour en faire des fagots. L’emploi de la serpe était interdit. Il est vrai que certains vandales s’attaquaient parfois aux jeunes chênes pour en faire des piquets, ignorant qu’il faut 200 ans pour obtenir un bel arbre adulte.
Quant à la chasse, elle était réservée aux personnalités aisées des environs qui payaient très cher leur participation.
En 1871, ce fut au tour des prussiens d’envahir le Bois l’Evêque pour se diriger vers Landrecies en passant par le chemin d’Happegarbes, mais les défenseurs ayant répondu vigoureusement à leur bombardement, ils n’insistèrent pas et se retirèrent, laissant derrière eux de nombreux morts.
Plus tard, deux autres grandes incursions ennemies que furent les deux guerres mondiales, marqueront à jamais 1’histoire du bois l’Evêque.
LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
En 1914, les Allemands arrivèrent par le Bois l’Evêque au carrefour de la gare après une escarmouche avec la cavalerie anglaise.
Le 26 août, le gros des troupes du 3ème corps allemand de la 1ère Armée de Von Kluck traversa le bois en direction de Saint Souplet, en passant entre Bazuel et le Cateau. L’occupant allait piller le bois pendant plus de quatre années.
Du 13 au 31 octobre 1918, un combat s’engagea dans les environs de la gare et ce fut une pluie de mitrailles et de bombardements par l’aviation ennemie et amie. Ors a été l’un des villages les plus massacrés au repli des allemands au cours du mois d’octobre 1918.
Le 4 novembre 1918 disparaissait sur les bords du canal de la Sambre, le lieutenant Wilfried Owen, un officier anglais du régiment de Manchester. Le lieutenant Owen était l’un des plus brillants poètes anglais du 20ème siècle et la particularité dans la vie de cet officier fut de passer sa dernière nuit, avant d’être tué au combat, dans la cave de la maison forestière du Bois l’Evêque d’où il écrivit une ultime lettre adressée à sa mère. Aujourd’hui, ce logement fait partie du domaine militaire du dépôt et nombreux sont les touristes anglais qui viennent en été, photographier la façade de la maison. Ils y découvrent la cave voûtée en briques rouges d’où suinte l’humidité, et qui fut le dernier refuge du lieutenant Owen. L’officier anglais a été inhumé dans un coin du cimetière de la commune d’Ors et chaque année, il lui est rendu hommage le 11 novembre.
LA SECONDE GUERRE MONDIALE
L’invasion de 1940 arriva le 17 mai à 5h30 entre Pommereuil et le Cateau, le maréchal Rommel venait de Landrecies par Happegarbes et se trouvait à cours d’essence. Maintenant quelques chars sur place, il dissimula le reste dans le Bois l’Evêque. Puis, avec son camion-radio escorté d’un char Panzer III, il s’en retourna à Landrecies, puis à Avesnes, en attendant le reste de sa Panzerdivision qui n’avait pas suivi et qui n’arrivera que dans l’après-midi. Après un peu de repos, vers 23h, il reçut l’ordre de continuer vers Cambrai.
Le 18 mai à l’aube, à 7h00 il lançait toute la 7ème Panzer vers Landrecies et le Cateau, avec une colonne vers Ors, par la rue de Landrecies. Puis il retourna dans le bois et retrouva ses chars de tête aux prises avec ceux du 6ème Cuir français et dans l’impossibilité de manœuvrer. A 8h00, il emmena la colonne à travers bois vers Ors, mais fut stoppé par trois unités françaises, le 5ème Dragons Motorisés, le 1er régiment d’Automitrailleuses et le 95ème régiment d’Infanterie.
Vers 11h, il finit par contourner l’obstacle, en laissant quelques chars et en emmenant le reste, par Bazuel à travers bois. Il ordonna à sa colonne de chars d’attaquer par le pont pour se frayer un passage dans le village d’Ors. Mais les héroïques défenseurs d’Ors opposaient une farouche résistance et après un combat acharné qui dura 4 heures, les rescapés du 5ème Dragons décrochèrent sur ordre, à 13h et à pied, à travers champs vers Wassigny, accompagné du char B Mistral sans munitions.
Les soldats du 95ème régiment d’Infanterie laissèrent passer les chars de Rommel mais lorsque l’infanterie allemande se présenta, les défenseurs stoppèrent l’envahisseur jusqu’à l’épuisement de leurs munitions. Il était 16H00.
L’occupant s’implanta dans le Bois l’Evêque.
L’OCCUPATION DU BOIS L’EVEQUE DE 1940 à 1944
Le dépôt de munitions allemand
C’est en 1939 que le Bois l’Evêque accueille ses toutes premières munitions : l’armée française stocke pour son artillerie en prévision du conflit… En 1940, les troupes du maréchal Rommel s’emparent très vite de ce dépôt de campagne et les allemands s’installent sur le site pour y construire leur propre dépôt.
En attendant, ils entreposent, non loin de là, leurs munitions dans la forêt domaniale de Mormal, sur un site appelé Bismarck par les riverains, en souvenir déjà d’un dépôt allemand de la 1ère guerre mondiale. Cette zone sera beaucoup bombardée par les américains en 1944…
Dans le Bois l’Evêque, l’occupant commence la construction d’un nouveau dépôt de munitions dans la partie du bois située à droite de la route du Pommereuil à Landrecies, jusqu’à la chapelle de l’Ermitage. Un vaste réseau de chemin de fer Decauville reliait entre eux les nombreux petits magasins isolés les uns des autres. C’étaient des bâtiments carrés d’une douzaine de mètres de côté, bâtis en maçonnerie dont les murs, très épais, étaient enterrés aux deux tiers et protégés jusqu’au toit par des remblais. La couverture en béton était plate et recouverte de carton bitumé. La porte en bois, peinte en vert, d’une largeur de trois mètres, s’ouvrait sur un chemin d’accès au Decauville. Un embranchement de chemin de fer partait de la gare d’Ors et aboutissait à un quai d’embarquement près de la lisière du bois en suivant le vieux chemin du Cateau.
Le Decauville était également relié à la ligne de chemin de fer du Cambrésis, en partant du “Vert muguet” et en passant sous le pont de chemin de fer, de la route du Pommereuil à Bazuel. Cette ligne permettait à l’occupant de s’approvisionner en matériaux de construction qui arrivaient par bateaux à Catillon.
En haut de la côte, partant du café de l’Ermitage vers le Pommereuil, les travailleurs du Bois l’Evêque bâtirent sur la droite, deux grands bâtiments à pignon sur rue, possédant des murs de 50 cm d’épaisseur et un couloir longitudinal débouchant à chaque extrémité par une épaisse porte plein cintre. Ces portes étaient protégées par un mur pare-éclats en brique de 1,65 m de haut, 4 m de large et 50 cm d’épaisseur. Les fenêtres surélevées à 1,70 m du sol, étaient étroites, peu espacées et avaient des appuis en pente. Elles possédaient d’épais volets en bois qui se repliaient à l’intérieur. Il y avait six à huit fenêtres sur chaque façade. Ces bâtiments longs d’une vingtaine de mètres, contenaient plusieurs dortoirs.
De l’autre côté de la route, se trouvait à 30 m en retrait, un grand réfectoire rectangulaire, parallèle à la route et de même style. Au bout de ce réfectoire, et à sa droite, étaient installées les cuisines qui se prolongeaient vers la route perpendiculairement au bâtiment. Les entrées étaient reliées par un couloir transversal, à chaque extrémité. A une vingtaine de mètres à gauche du réfectoire, un autre bâtiment perpendiculaire à la route était en construction et atteignait 3 mètres de haut. Il était plus long que les dortoirs d’en face.
D’après un ancien du dépôt, les allemands avaient creusé un tunnel qui reliait l’entrée du site avec l’intérieur du dépôt et les soutes à munitions. M. Michel Delhaye l’aurait emprunté avec le lieutenant Brunelle en 1953, mais pour des raisons de sécurité, le passage fut condamné. Bien plus tard, en 1971, un affaissement anormal et important de terrain s’était produit derrière le bâtiment de l’ordinaire, mais le trou fut rapidement comblé sans rechercher la cause de cette effondrement.
Commencé en 1941, le dépôt des allemands ne fut jamais terminé et ne reçut vraisemblablement aucune munition.
Cependant, quelques constructions en dur demeurent et témoignent de leur passage : les bâtiments des cuisines, celui des cadres célibataires ou de l’ancien poste de sécurité et du bureau de gestion des munitions, ou encore le gîte étape et les anciens vestiaires des personnels civils – 3 soutes à munitions de l’époque et les anciens bureaux du dépôt.
Les tours de guet :
Sur la route forestière en direction de Fontaine au Bois, les allemands avaient aussi élevé trois grandes tours carrées d’une quinzaine de mètres de hauteur qui atteignaient la cime des plus grands arbres. Ces tours ne possédaient pas d’escalier, mais avaient une terrasse en béton en guise de toit qui devaient vraisemblablement accueillir des défenses antiaériennes. Ces tours sont restées et sont maintenant utilisées comme magasin.
A quelques mètres de là, sur la route du Pommereuil à Landrecies, on pouvait apercevoir aussi sur la gauche, à peu de distance de l’entrée de la route d’Ors, une étrange bâtisse carrée, soutenue par quatre piliers d’angle en maçonnerie reliés deux à deux sur les côtés, par une voûte plein cintre. Ces voûtes supportaient un large lanterneau carré assez plat, possédant quatre fenêtres basses par côté et surmonté d’un toit pyramidal. Par l’ouverture située face au Pommereuil, une galerie d’une douzaine de mètres s’enfonçait assez fortement de 3 à 4 mètres dans le sol et tournait brusquement sur la gauche …! Ce souterrain non empierré, était en cours de réalisation quand les allemands sont partis.
Où allait-il ? …! !
C’est encore un des mystères du dépôt de munitions du Bois l’Evêque …! A la libération, Jules Delva l’aurait emprunté en partie sans atteindre le fond de la galerie car on pouvait toujours craindre que les occupants l’aient piégé avant de se replier.
Plus tard, cette étrange bâtisse abritera la piste de danse pour les fêtes du Bois l’Evêque.
La Procession de l’Ascension de 1943 :
Pendant la guerre, l’accès au bois l’Evêque était formellement interdit sauf pour les travailleurs civils et quelques cheminots du Pommereuil. Une barrière était placée un peu avant le café de l’Ermitage et le sentier menant à la chapelle du bois, une autre barrait l’entrée du bois par la rue du Tilleul.
La procession de la ducasse du 15 août à la chapelle du bois était interdite.
Dès son arrivée en 1941, l ‘abbé Paris habita chez Mme Frémy, car les Allemands avaient réquisitionné le presbytère. Il avait remplacé l’abbé Lantoine et avait subi en tant que brancardier, les affreux bombardements de Dunkerque qui l’avait profondément choqué. Sa mémoire ainsi que son élocution en étaient demeurées perturbées.
Le maréchal Pétain, que tout le monde vénérait encore au début de la guerre, avait habilement subventionné l’enseignement privé, ce qui lui attirait les bonnes grâces et la fidélité inébranlable de certains membres du clergé. Le curé était de ceux là. Il avait réussi à sympathiser avec les Allemands du Bois l’Evêque et devint, en quelque sorte, l’aumônier du Camp qu’il visitait chaque semaine.
Un jour, en 1943, il annonça à ses paroissiens que le jour de l’Ascension, les Allemands lui permettaient d’aller en procession à la chapelle du bois. Cette procession serait accompagnée du Très Saint Sacrement et les enfants de chœur seraient en tête avec la croix, suivis des enfants du catéchisme avec leurs petites bannières. Il y aurait la bannière de la Sainte Vierge , puis le dé, à l’abri duquel, le prêtre tenait l’ostensoir contenant une hostie consacrée. Le dé était porté par quatre hommes qui se relayaient. De chaque côté du dé, il y avait trois porteurs de lanternes. Celles-ci comportaient une hampe de 1,5 mètres qui pivotait sur elle-même pour rester verticale. Derrière le dé, s’avançait la chorale interprétant des cantiques et des psaumes en latin et en français, après chaque dizaine de chapelet.
Le jour venu, la procession s’engagea par la rue d’Ouïes. Sur le parcours, les gens avaient décoré leurs habitations, de pots de fleurs et de branchages. Sur le chemin, on avait éparpillé de l’herbe mêlée çà et là à quelques fleurs. Parmi les chanteurs, on pouvait entendre: Joseph et Raymond Provensal, Jules et Henri Delva, Charles et Georges Ducroux, suivis de Julia Polvent, Lisette et Ninie Dupont, Jeanne Provensal, Jeanne Dormignies, Yvonne et Célestine Naël, Marguerite Bouchez, Melle Fortez, Lucienne Lozé, Jacqueline et Louisette Burillon. Venaient ensuite les autres fidèles, mais ce n’était pas la foule des grands jours d’avant 1940 ..! Les gens craignaient l’incident avec l’occupant ou encore provoqué par un excité …!
Ce fut donc une bien maigre procession qui se présenta à la barrière allemande. L’angoisse commençait à envahir les pèlerins, et c’est dans un silence de mort, que la sentinelle examina l’Ausweiss présenté par le curé. La barrière s’éleva enfin, pour laisser passer les fidèles de l’Abbé Paris …! La prière reprit dans le sentier bordé de chaque côté par des taillis.
Mais, en regardant plus attentivement à travers ces buissons, on pouvait distinguer des silhouettes vert-de-gris disséminées tout le long du parcours. Ces hommes étaient-ils là en spectateurs ou pour surveiller ..? Ou, peut-être, s’agissait-il d’une magnifique souricière ? Chacun les avait vus, mais malgré un petit frisson dans le dos, tous continuaient à avancer en priant. La ferveur de la prière devenait même suppliante et pour certains d’entre eux, cela n’était pas arrivé depuis leur première communion… !
Arrivés à la clairière de la chapelle, ils pouvaient distinguer d’autres groupes de soldats allemands dissimulés plus loin. Monté dans la chaire en ciment, l’Abbé Paris leur fit alors un sermon de circonstance. Il prêcha la fraternité entre les peuples, le pardon des offenses et l’amour pour son prochain. Tous priaient pour tous les peuples qui souffraient de la guerre et pour les prisonniers afin de hâter leur retour.
Pour terminer, le prêtre éleva l’ostensoir dans toutes les directions et ils vîmes, à ce moment-là, quelques Allemands se signer et d’autres s’agenouiller… ! On peut penser que, pendant un court instant, à la chapelle du Bois l’Evêque, le jour de l’Ascension 1943, le seigneur avait été présent parmi tous ces témoins.
Sur le chemin du retour, après avoir repassé la barrière, c’est d’un cœur plus léger que tous pouvaient chanter: ” Vierge notre espérance étend sur nous ton bras, sauve la France, ne l’abandonne pas. “. Chant oh combien subversif s’il en fut, qui résonna innocemment dans les frondaisons rieuses du Bois l’Evêque… ! Une fois arrivé dans l’église, l’harmonium de Julia Polvent fit entonner un autre cantique encore plus subversif.
La Résistance :
La résistance s’organisait dans la région avec l’O.C.M (l’organisation civile et militaire) dirigée par M Chabloz pour l’Avesnois et dont le responsable était M Robert, le vétérinaire de Landrecies et des environs.
Monsieur Edmond Carpentier appartenait également à l’O.C.M. il avait racheté le matériel de la scierie allemande après 1918, et faisait du charronnage en plus du travail à la ferme. il logeait chez lui, l’ingénieur allemand qui dirigeait les travaux du Bois l’Evêque. Un soir, l’ingénieur lui confia que le Bois l’Evêque allait envoyer des fusées contenant l’arme secrète promise par Hitler aux Allemands pour hâter la victoire et la fin de la guerre. Cette information fut transmise à la résistance qui devait donc retarder le plus possible les travaux en cours dans le bois. Les sabotages se multiplièrent pour faire cesser les travaux ( déraillement de la Decauville, un premier plastiquage du canal ou encore de la limaille de fer introduite dans l’huile des moteurs diesel des engins de traction). Le coup de grâce viendra de la charpente dont les poutres en attente avaient été volontairement coupées trop courtes pour couvrir les bâtiments. Ce dernier sabotage sonna le départ de l’ingénieur allemand qui rejoignit le front de l’Est.
Le 6 janvier 1944, le réseau O.C.M de l’ Avesnois, fut dénoncé par un ami intime des Robert. Il était au courant de toutes les activités du réseau. De plus, il connaissait parfaitement la liste de tous les activistes. Ce jour là, alors que des résistants étaient réunis à la ferme Godart , près du Bois l’Evêque, les Allemands investirent la ferme pendant la nuit. Henri Godart sauta par la fenêtre et courut vers la lisière du bois, où s’étaient cachés des policiers qui l’abattirent. Les autres se rendirent après avoir épuisé toutes leurs munitions. De nombreux résistants furent arrêtés comme M Carpentier, son fils Edmond, Aimé Poly et Raymond Delmotte, mais d’autres furent épargnés pour donner le change. Ce fut le cas de Mme Robert, Paulette Plaisin et quelques autres. Les allemands se dirigèrent tout droit vers le dépôt d’armes de la rue d’En Haut, mais celui-ci venait d’être transféré par Delmotte dans un silo à betteraves d’Aimé Poly.
Certains résistants furent relâchés comme M Carpentier et Aimé Poly qui fut disculpé par son beau- frère Raymond Delmotte. Les autres comme Robert et ses hommes furent envoyés à Buchenwald et certains n’en revinrent pas.
L’action contre les travaux du Bois ne fut pas abandonnée pour autant. Entre Landrecies et Ors, la rivière Sambre passe par un siphon sous le canal de la Sambre à l’Oise, et une baisse du niveau de 50 cm du canal rendait difficile la circulation des péniches, à cause de l’envasement du canal.
En juin 1944, il fut décidé de plastiquer à nouveau la voûte du siphon du canal et le bief demeura avec 70 cm d’eau jusqu’à la libération. Mais tous ces sabotages ne faisaient que retarder les travaux, sans les stopper réellement. Londres s’en inquiétait et demanda à la résistance le plan du bois avec l’emplacement des soutes à munitions pour les détruire. Cela signifiait, raser de la carte les villages d’Ors, du Pommereuil et de Fontaine au Bois et même Bazuel en cas de bombardements américains à trois mille mètres. Le plan du bois fut calqué sur celui de l’administration des Ponts et Chaussées par Jules Delva père qui avait déformé son écriture; il soumit le résultat à son fils Jules, qui aurait préféré coller des caractères imprimés et employer des gants pour ne pas laisser d’empreintes. Le document devait être remis à un employé de la gare qui était chargé de le transmettre à un homme travaillant au bois. Ce dernier marqua d’une croix l’emplacement des différentes soutes et rendit le document à l’employé de la gare qui le fit parvenir à René Duminy. M.Duminy avait pour mission de le porter à une dame qui devait le transmettre à Londres. Hélas, René Duminy fut accueilli par la gestapo qui l’attendait au domicile de la dame… Arrêté le 4 février 1944 et condamné à mort, il fut torturé et incarcéré à la prison de Fresnes jusqu’à la libération.
La bataille de libération au Bois l’Evêque :
Le dimanche 3 septembre 1944, avant midi, un convoi allemand qui tentait de remonter vers le nord, par la chaussée Brunehaut , fut refoulé au Cateau par Le Pommereuil et Happegarbes. Ce convoi avait à sa tête des éléments motorisés qui précédaient des blindés ainsi que de l’artillerie avec un auto-canon et des canons antichar de 20 et 37 mm . Une colonne d’une vingtaine de chariots hippomobiles, chargés de mines et de munitions, tirés par quatre chevaux, s’étirait sur près d’un kilomètre. Après avoir dépassé le carrefour de la route d’Ors, ils furent la cible de F.F.I étrangers à la région qui tiraient depuis les fermes de l’entrée d’Happegarbes sur les troupes motorisées d’avant garde. Furieux, les Allemands ripostèrent et incendièrent les fermes Talmat, Meurant et Burillon. ils fusillèrent deux civils.
Alertés par la fusillade, quelques chars américains intervinrent, mais furent très vite débordés. Les forces américaines reculèrent jusqu’à l’entrée d ‘Happegarbes et firent appel à leur aviation. Immédiatement, 27 avions mitrailleurs à double fuselage, prirent en enfilade, à basse altitude, la route rectiligne du Bois l’Evêque, en mitraillant copieusement le convoi dans un vacarme effroyable qui résonna dans tout le bois et à des kilomètres à la ronde. Très maniables malgré leur envergure, ils tournoyaient à la file en bout de course et mitraillaient sans arrêt, dans une ronde infernale, les troupes allemandes qui se sauvaient dans toutes les directions. Les attelages étaient une cible de choix et les chevaux affolés s’emballaient en renversant les chariots dans les fossés. Des prisonniers se rendirent et une vingtaine d’hommes fut tuée.
Comme les Allemands avaient fusillé deux civils innocents, les troupes américaines voulurent se venger et avaient l’intention de procéder à quelques exécutions sommaires sur des prisonniers qui ne durent leur salut qu’ à l’intervention de Clément Baillon…
Ce fut donc, par le Bois l’Evêque, que les fantassins américains arrivèrent par la rue d’Ouïes pour libérer Ors. Ils passaient sur deux colonnes en ordre de combat. Et c’est au milieu de deux haies d’Orsois en délire qu’ils furent acclamés et applaudis sur leur passage comme pour le Tour de France.
On pouvait comprendre la réaction de ces habitants qui venaient d’être libérés, même si cet accueil semblait déplacé vis à vis de ces soldats pour qui la guerre n’était pas terminée.
Après avoir pris possession du site, les américains placèrent aussitôt une mitrailleuse de 12,7 mm contre le chevet de l’église pour intercepter d’éventuels fuyards. Ceux-ci pouvaient très bien dépouiller des promeneurs de leurs vêtements pour se mettre en civil et échapper aux arrestations.
Ce n’est que huit jours plus tard que Jules Delva et deux autres camarades, Anatole Carpentier et Pierre Lozé, purent se rendre sur le champ de bataille pour aller ramasser quelques souvenirs et quelques objets utiles par ces temps de pénurie.
En arrivant sur la route de Le Pommereuil à Landrecies, en face de celle d’Ors, un mortier de campagne était encore en position sur l’accotement, ses bombes à ailettes bien en évidence dans leur mallette ouverte. De nombreux jerricans vides jonchaient les bas-côtés.
En allant vers Landrecies, dans un sentier à mi-côte, à gauche de la route, un canon antichar de 37 mm était toujours en batterie à une dizaine de mètres, le grand tas de douilles vides témoignait de l’âpreté du combat. On avait fait sauter la culasse avant de l’abandonner. Dans le layon suivant et toujours à gauche, un canon antichar de calibre 20 mm avait beaucoup servi lui aussi et avait subi le même sort que le premier. Les chariots remplis de munitions étaient rangées sur le côté droit et étaient pour la plupart dans les fossés.
Les chevaux avaient été enterrés dans le fossé, à gauche de la route, par des prisonniers allemands mais les trous n’étaient pas assez profonds et une forte odeur de cadavre se répandait sur tout le parcours. Les Allemands étaient le plus souvent enterrés sur le côté droit. Dans les chariots, on pouvait apercevoir des objets inconnus, en forme de boite plate ou prolongés par-dessous par des sortes de buses plus ou moins longues. Ne touchant jamais aux objets inconnus ils apprîmes plus tard que ces articles étaient des mines et il y en avait des centaines. Certains chariots contenaient uniquement des chargeurs de fusils-mitrailleurs allemands.
On trouvait aussi des centaines de cartouches de tous calibres, notamment des balles traçantes et explosives. Les grosses brosses à bride en cuir qui servaient à panser les chevaux, étaient très recherchées et les grand-mères venaient tout juste de finir d’user celles qu’elles avaient ramassées en 1918… ! Les fusils Mauser étaient tous cassés à la crosse, car les Allemands savaient, par expérience, que les partisans de tous pays, les appréciaient tout particulièrement. Les casques de toutes tailles traînaient partout comme les masques à gaz que leur propriétaire avait baladés dans toute l’Europe pour les abandonner au Bois l’Evêque. Les baïonnettes étaient plus rares mais les grenades abondaient dans certains chariots. Il fallait cependant être prudent car elles avaient parfois été sabotées par les S.T.O. en Allemagne. Certaines étaient encore attachées par le cordon dans les broussailles du Cerisier et aussi aux rameaux d’une haie du Vieux Rivage. Pour faire exploser une grenade à manche allemande, il fallait en dévisser l’extrémité, attraper la cordelette et tirer brutalement en tenant le manche. Le mécanisme était alors enclenché et au bout de 10 secondes, la munition explosait.
Le lendemain de cette bataille, une trentaine de rescapés allemands avait été regroupée par un de leurs officiers et se dissimulait dans les arbres d’un marais d’Happegarbes. I1s furent pris à partie par dix jeunes combattants F.F.I., peu expérimentés, qui se firent tués.
Le Bois l’Evêque gardera longtemps les traces de ces atrocités et de ces combats acharnés.
L’APRES GUERRE :
LE CAMP DE PRISONNIERS :
Après la libération, les Américains utilisèrent le camp du Bois l’Evêque pour y mettre des prisonniers. Ils demandèrent à la population civile de les aider à récupérer les jerricans vides qu’ils avaient jeté dans les fossés lors de leur avancée fulgurante vers la Belgique et vers l’Est.
Chaque habitant de la commune ramena au camp ses jerricans et un amoncellement impressionnant de bidons bien rangés les uns sur les autres, s’élevait sur le terrain situé au-delà du réfectoire. Les troupes américaines en avaient besoin pour continuer leur offensive.
L’hiver 44 -45 fut très rigoureux et la route du Bois l’Evêque fut souvent encombrée de congères très épaisses. La route du Pommereuil au Cateau fut bloquée à certains endroits par 2,50 m de neige entre les talus.
Ors était isolé au coin du bois, la neige poudreuse emportée par le vent, y avait comblé le chemin des Bœufs et la descente du Cerisier. Les conducteurs noirs américains grelottaient de froid dans leurs véhicules bloqués par la neige, en attendant d’être secourus.
Après l’hiver de 1945, le service cinématographique de l’armée française utilisa quelque fois le réfectoire pour y projeter à la population, des films documentaires sur la vie militaire, sur le comportement au cours du combat et sur les missions de reconnaissance. Parfois, nous avions droit à quelques beaux films, et un jour, il fut même projeté une comédie musicale très gaie sur Paris.
Des documentaires étaient également diffusés comme la libération de Paris par la 2ème DB, ce qui permit à de nombreuses personnes de découvrir pour la première fois le général De Gaulle. Beaucoup de jeunes filles furent déçues car le général n’avait rien d’un play boy. Le ton épique de ses premiers discours surprenait beaucoup, mais sa haute stature et son charisme impressionnaient.
La guerre se termina le 8 mai 1945, les prisonniers et les déportés revinrent au pays, en avril et en mai. Les premiers pour reprendre, si possible, leur vie familiale interrompue par quatre ans et demi de captivité, et les autres, bien souvent pour y mourir. De1mott qui pesait 120 kg en partant, ne faisait plus que 45 Kg à son retour.
Parmi les prisonniers, il y avait le lieutenant Fernand Havret qui s’était vaillamment battu en 1940. Très actif et débrouillard, il se mit à organiser à son retour des stages de formation prémilitaire au camp du Bois l’Evêque.
LE CAMP DE FORMATION PREMILITAIRE :
Le lieutenant Havret remit en état les cuisines avec du matériel de récupération et après de nombreuses démarches, il réussit à obtenir des couverts, des verres, des assiettes, des uniformes bleus marine ( qui ressemblaient étrangement à ceux de la milice !), des fusils Mauser et des munitions.
Il lança le premier stage vers septembre 1945, en recrutant des volontaires dans toute la région, mettant à contribution ses amis et ses relations. Ces stages de formation prémilitaire permettaient à ceux qui les suivaient, de pouvoir choisir leur arme pour effectuer leur service militaire. Ils duraient trois semaines et Jules Delva d’Ors qui en a bénéficié, a bien voulu raconter la vie au camp à cette époque.
« Les pionniers du premier stage participèrent activement à l’installation du camp au cours de leurs séances d’Hébertisme. Cette méthode, pratiquée par le lieutenant dans la vie courante, consistait à faire fonctionner tous les muscles, au cours de l’exécution de travaux de plein air. C’est ainsi, que les jeunes participèrent avec enthousiasme, à l’élaboration de l’empierrement du chemin d’accès à l’intérieur du camp, en partant du carrefour du chemin forestier venant de Bazuel. Pour mener à bien ces travaux, le lieutenant Havret avait demandé des conseils techniques à M Delva, chef de travaux des ponts et chaussées, qui lui avait donné l’alignement, le nivellement et préconisé la quantité de blocages et de cailloux pour résister au passage de véhicules lourds ».
La source
Le lieutenant Havret avait fait curer et approfondir le bassin gauche de la source de la chapelle de l’Ermitage. Il y avait descendu de gros drains en béton, placés verticalement et mi-bout à bout, pour obtenir une réserve d’eau potable qui était recouverte d’un plancher, empêchant la pollution de l’eau par les débris végétaux, les insectes et les grenouilles.
Les lavabos
Un long bac, à fond semi-circulaire, en acier et muni de pieds, était placé le long du ruisseau, dans la clairière de la chapelle, en guise de lavabos. Les bancs en béton armé, de la chapelle, servaient de tablettes pour poser les nécessaires de toilette.
Le plateau et le parcours
Le terrain de sport fut aménagé par les stagiaires qui avaient établi un parcours classique à l’emplacement de la zone située derrière le réfectoire. Les obstacles du parcours étaient fabriqués avec de longs poteaux télégraphiques et installés autour du plateau.
On y distinguait, entre autres, de longues barres d’équilibre, des barrières de différentes hauteurs, un mur à escalader, un portique très haut pour le grimper, un réseau de fil de fer barbelé tendu très bas, et de gros tuyaux en ciment, couchés sur le sol, pour le ramper.
Un bâtiment inachevé, servait aussi pour l’équilibre, l’escalade et le saut en profondeur.
Une grande et profonde excavation, située plus loin dans le bois, ressemblant à une petite carrière plus ou moins rectangulaire, d’une vingtaine de mètres de long, et à parois verticales de quatre mètres de hauteur, était traversée, sur sa longueur, à l’aide d’une corde amarrée à un arbre de part et d’autre de la fosse.
Les dortoirs
Les dortoirs contenaient chacun, une vingtaine de lits en bois, dont le sommier en grillage, était munie d’une paillasse et d’un ” polochon ” garnis de paille de blé et recouverts par deux couvertures grises en coton. Les effets civils étaient dans une valise, sous le lit.
Le réfectoire
Le réfectoire servait aussi de salle de réunion. Il comprenait deux rangées de tables en bois massif avec des bancs épais et très solides. Le chef de table servait une part à chacun et devait partager équitablement le « rab ou rabiot ». Après le repas du soir l’emploi du temps journalier était indiqué avec les horaires.
En avril 1946, se terminèrent les stages de formation prémilitaire avec le départ à la retraite du lieutenant Havret. Le camp resta vide très peu de temps car des troupes de passage vinrent y séjourner quelques temps.
LES TROUPES DE PASSAGE
C’est en mai 1946, que les premières troupes françaises arrivèrent au Bois l’Evêque, des éléments du 8ème bataillon d’Infanterie qui s’installèrent près des tours de guet, et un détachement du 16ème bataillon de chasseurs à pied qui prit ses quartiers à gauche, à mi-côte, en allant vers Le Pommereuil.
Les bâtiments étant insuffisants pour loger tout le monde et les dortoirs servant d’infirmerie, de nombreux soldats couchaient sous la tente dans le bois. Le réfectoire servait de mess pour les officiers. Beaucoup de gradés cherchèrent à se loger à l’extérieur pour se retrouver en famille, comme le capitaine Bourgeois du 8ème Bataillon d’Infanterie qui prit deux pièces avec sa femme et son fils chez Jules Delva.
Les bataillons disposaient de leurs propres musiciens qui animaient les fêtes locales. La musique du 16ème Chasseur était en tête du défilé de la retraite aux flambeaux à Ors le 13 juillet 1946, et le soir, jouait pour le bal du 14 juillet. Le 15 août, c’était celle du 8ème bataillon d’Infanterie qui exécutait un concert pour la ducasse, et participait au bal sur la place d’Ors. Le séjour bucolique de la troupe semblait se dérouler sous les meilleurs hospices, lorsque là nouvelle de la visite du général de Lattre de Tassigny secoua brutalement la douce quiétude des frondaisons du Bois l’Evêque. Pendant des semaines, la musique et les marches, du 46ème Chasseurs et du 8ème Bataillon d’infanterie envahirent le bois tout entier. Toute la population finissait par connaître par cœur les chants et tous les chevreuils du coin se prenaient pour des cerfs aux abois.
Le grand jour arriva! Le défilé devait avoir lieu l’après-midi sur la route de Landrecies au Pommereuil et la population se promettait d’y assister. Les troupes du 8ème Bataillon d’infanterie attendaient depuis 8 heures du matin, l’arme au pied, sous un soleil de plomb. Le général arriva vers 17 heures 30. Le défilé se forma au bout du bois et la plupart des spectateurs s’étaient regroupés avec les officiels près du drapeau. D’autres s’étaient placés sur les accotements, derrière la haie de soldats du service d’ordre. Les musiques des deux régiments étaient l’une près de l’autre, face à la route. Il n’y avait pas encore de clôture le long de cette route. Le général De Lattre se trouvait au bord de la chaussée avec les officiers supérieurs.
Le 16ème Bataillon de Chasseurs ouvrait la marche et s’annonça par sa célèbre marche : ” Tiens, Tiens, voilà la quille …”. En calot et en uniforme bleu marine, en gants blancs, en courtes guêtres de toile blanche, arborant fièrement leur fourragère de la légion d’honneur, les soldats apparurent en haut de la côte. Avec leur pas cadencé rapide, entraînés par la clique imposante de leurs célèbres cors de chasse, ils avaient fière allure en montant la côte de la maison forestière. Le général De Lattre, se plaça soudainement dans l’axe de la route et vérifia pour chaque colonne, l’alignement des hommes et des fusils.
Le 8ème Bataillon d’Infanterie suivait, loin derrière, en tenue et calot kakis, en guêtres et gants blancs. Les hommes avaient également la fourragère rouge de la légion d’honneur. Ils marchaient d’un pas normal qui paraissait d’autant plus lent, qu’ils passaient après les Chasseurs. Ils suivaient leur clique, en débouchant en haut de la côte. Certains avaient cousu en haut de leur manche, la comète rouge et verte de l’offensive Rhin et Danube qui rappelait la délivrance de la poche de Colmar qui fit des centaines de morts et la traversée du Rhin sans l’aide de l’aviation américaine. Le général De Lattre se replaça dans l’axe de la route pour vérifier à nouveau les alignements et revint lentement à sa place.
Quand le défilé fut terminé, il réunit les commandants des troupes et critiqua sévèrement l’organisation du Camp et du défilé, mais il accorda au 16ème Chasseurs deux tambours supplémentaires et partit.Ce soir là, il y eut un grand bal au garage Foviaux, et les héros du jour furent fêtés dignement par les filles du Pommereuil, d’Ors et des environs.
Après le passage du Général, la vie des troupes ne fut pas drôle tous les jours. La plupart du personnel campait dans le bois, dans la partie située à gauche de la route de Landrecies au Pommereuil. Mais le climat orageux et instable de l’été 1946 entretenait une atmosphère humide, malsaine et lourde. Les tentes ne séchaient pas dans la journée et les sacs de couchage restaient humides, ainsi que les sous-vêtements et les tenues. Le moindre rhume n’arrivait pas à guérir dans la fraîcheur des sous-bois. Des cas de pleurésie et de congestion pulmonaire se déclarèrent dans les deux camps et les troupes reprirent le chemin de la caserne en septembre.
Mais l’histoire ne s’arrêta pas là, car ce fut ensuite le 43ème régiment d’Infanterie qui vint occuper le terrain en 1947 et 1948. Entre deux séjours, le camp retrouvait son calme et n’était plus troublé que par des colonies de vacances qui s’accaparaient le site. Le Bois l’Evêque allait encore retenir pendant longtemps les rires et les chants joyeux des nombreuses classes de jeunes appelés qui se succèderont pour servir le pays.
Entre temps, le service du Génie de Valenciennes avait mis en place un personnel civil et un sous-officier pour assurer la surveillance des lieux….
Histoire des pétardiers